Charles Dullin

Château du Châtelard, Yenne, 8 mai 1885 -

Paris, 11 décembre 1949

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Charles Dullin est mort le 11 décembre 1949, et l'État a fait du cinquantenaire de sa mort une célébration nationale.

D'abord commis puis clerc d'huissier, Charles Dullin s'est ensuite illustré au théâtre. Acteur dans la troupe de Jacques Copeau au théâtre du Vieux-Colombier, avec notamment Louis Jouvet et Valentine Tessier, il prit le 14 octobre 1922 la direction du théâtre de Montmartre, fondé en 1822 place Dancourt (actuellement place Charles-Dullin) à Paris XVIIIe par les Seveste, qui en avaient fait une école d'application pour les jeunes comédiens, le théâtre des Jeunes Elèves. Sous le nouveau nom de théâtre de l'Atelier, il y développa cette double activité, avec une troupe théâtrale et une école professionnelle d'art dramatique. Dans son activité de metteur en scène, il remporta de nombreux succès malgré l'éclectisme de ses spectacles : les classiques français, Aristophane, Calderon, Pirandello, mais aussi ses contemporains et notamment l'avant-garde, Jules Romains, Marcel Achard, Steve Passeur, Armand Salacrou ; son plus grand succès fut Volpone de Jules Romains et Stefan Zweig d'après Ben Jonson, en 1928 ; le dernier fut La terre est ronde d'Armand Salacrou, à la fin de 1938. Avec Gaston Baty, Louis Jouvet et Georges Pitoëff, il constitua de 1927 à 1940 le Cartel des Quatre pour défendre ensemble leur indépendance respective. Il quitta l'Atelier en 1940 pour s'installer au théâtre de Paris, plus grand. Il est enterré au cimetière de la Chapelle-sur-Crécy ( commune de Crécy-la-Chapelle), où lui a été érigé un monument.

Charles Dullin (la Famille Goybet, 11,693 H, supplément de la Gazette, n°11) était cousin remué de germains de Jules Goybet, grand-père d'Henri Jaillard, Magdeleine Lepercq et Lison (Louise) de Raucourt.

 

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Cela a commencé pour moi à Barèges, dans la pharmacie de ma soeur, un jour de l'été 1938. J'avais eu la chance de rencontrer une comédienne de chez Charles Dullin : Madeleine Lambert. Je lui ai posé la question : "Que faut-il faire pour faire du théâtre ? - Il n'y a qu'une seule voie : il faut aller à Paris, au théâtre de l'Atelier, chez Charles Dullin." Je suis allé à Paris, où j'ai assisté à l'une des représentations de Plutus, d'après Aristophane, qui se jouait à ce moment-là, et j'ai demandé à rencontrer Monsieur Dullin.

Monsieur Dullin avait un regard impressionnant. Il vous observait, il vous jaugeait, il vous jugeait de ses yeux grands ouverts. Il m'a demandé si je montais à cheval. Il m'a simplement dit de m'inscrire à l'Ecole et cela fut le tournant de ma vie.

 

Des disciples plutôt que des élèves

Charles Dullin, par Ferdinand Billard, in Conferencia, journal de l'université des annales, 5 avril 1927, p. 375.

C'est grâce à lui que j'ai découvert l'âme du théâtre : le respect du texte et de l'auteur, le respect du public, l'écoute et le respect des partenaires.

À l'École, nous apprenions l'improvisation, le placement de la voix, la respiration, la diction, le mime avec Jean-Louis Barrault, la comédie moderne et classique et, le samedi, le cours de Charles Dullin. Nous devions prendre longtemps à l'avance notre tour. Il y avait à ce moment-là des visages connus : Madeleine Robinson, Jean Marais, un jeune élève qui s'appelait Roland Petit ; des élèves anglais, espagnols, hongrois, russes, yougoslaves, etc.

Je me liai très vite avec une jeune fille très brune du nom d'Olga. Elle avait pour amie une blonde d'origine russe. L'une s'appelait Olga Kecheliewitch, l'autre Olga Kosakewitch. Très vite, je me liai également avec un élève qui s'appelait Pierre Latour, un des créateurs de la pièce En attendant Godot. Un peu plus tard, il y eut un personnage très particulier : Alain Cuny.

Madame Dullin enseignait chez elle, boulevard Pereire. C'est elle qui me recommanda à Marcel Achard, qui me fit tourner dans le Corsaire, sous la direction de Marc Allegret. Auparavant, j'avais été engagé dans la compagnie des Quatre-Saisons à la suite d'une audition. Il y avait là Maurice Jacquemont, Michel Vitold, René Dupuy, Svetlana Pitoëff, André Chlesser, Jean Dasté. Ce furent mes premiers débuts au théâtre, en 1939 : sous la tour Eiffel, pour son cinquantenaire, sous la tente du cirque Fanny.

Charles Dullin m'a tout appris. Je lui dois tout. Je le dis souvent, Charles Dullin n'avait pas des élèves, il avait des disciples. Je n'ai jamais joué un rôle sans me dire : " Est-ce que je ne le trahis pas ? Serait-il content de moi ? Lui suis-je vraiment fidèle ?" Il est là toujours présent, il me juge, il m'écoute, il me regarde.

Etant élèves à l'Atelier, nous avions le droit d'assister aux répétitions, aux indications, et à la mise en scène de Charles Dullin. Nous avions également la possibilité de demander des places à l'un des théâtres du Cartel : à l'Athénée-Louis-Jouvet, aux Mathurins chez Georges Pitoëff, au théâtre Gaston-Baty (le théâtre Montparnasse) chez Marguerite Jamois.

 

L'héritage de Charles Dullin

Il est impossible d'imaginer le caractère, la poésie, l'amour et la connaissance des hommes si l'on n'a pas lu Charles Dullin ou les ensorcelés du Châtelard, l'ouvrage écrit par la soeur aînée de Charles Dullin et par Charles Charras, qui fut le secrétaire fidèle de Charles Dullin jusqu'à sa mort. De même, il est impossible de ne pas avoir lu le livre que Lucien Armand lui a consacré. Lucien Armand qui fut le directeur de l'École depuis les premiers jours de l'Atelier.

Aujourd'hui, on peut se demander ce qui reste de cette vie intense, tourmentée, sans cesse à la recherche d'une autre vérité, d'une autre évasion, comme si l'acquis n'existait pas... Combien de succès stoppés par les difficultés, les budgets problématiques...

Il reste surtout l'influence des représentations de l'Atelier, de ses créations de nouveaux auteurs, ses remises en question, ses risques, tout ce dont a hérité le théâtre d'aujourd'hui. Dans quelle mesure l'esprit de Charles Dullin a-t-il, consciemment ou non, influencé les directeurs actuels ? Jean Vilar, au TNP [théâtre national populaire. - NDLR.], Jean-Louis Barrault, Marguerite Jamois, tant d'artistes ont eu à faire à lui !

 

Après l'Atelier

Après le succès du film le Miracle des loups de Raymond Bernard (1924), où il incarnait Louis XI, les Américains ont proposé à Charles Dullin des contrats très substantiels. Il a toujours refusé, jugeant qu'il se trahirait. Il faudrait laisser l'Atelier et abandonner le travail de tant de tours de force. Madame Dullin n'avait-elle pas dû vendre son argenterie pour purger une situation dramatique ?

Pourtant, en 1940, Dullin céda l'Atelier à André Barsacq. Il alla s'installer au théâtre de Paris pour jouer Mamouret de Jean Sarment, puis définitivement, croit-il, en 1941 au théâtre de la Cité, ex-théâtre Sarah-Bernhardt. Là, durant la saison 1941-1942, il crée trois spectacles : la Princesse des Ursins de Jollivet, la Volupté de l'honneur de Pirandello et les Amants de Galice de Lope de Vega, avec Serge Reggiani et Lise Delamare.

Cela jusqu'en 1947 où il est obligé d'abandonner la Cité. Il est accueilli par une de ses anciennes élèves, Marguerite Jamois, dans son théâtre Montparnasse-Gaston-Baty, où il crée la pièce d'Armand Salacrou l'Archipel Lenoir. Puis, c'est la tournée de l'Archipel Lenoir, suivie d'une tournée Jean Richard en Allemagne occupée. Il y joue le Faiseur et l'Avare, très bien accueillis.

Après, c'est la tournée de la Marâtre de Balzac et de l'Avare, la souffrance et la fin à l'hôpital où il meurt. C'était en 1949, déjà cinquante ans ! C'était hier, je serai bientôt dans ma quatre-vingt-cinquième année. Aujourd'hui, il est important de souligner l'existence du cours Dullin, où Madame Hermande-Bosson et Charles Charras, et les fidèles, Madeleine Robinson, Catherine Le Couey, sont toujours vivants et présents.

 

Jacques DUFILHO.

in Célébrations nationales 2000,

édité par le ministère de la Culture et de la Communication,

direction des Archives de France,

délégation aux Célébrations nationales, 

Paris, 1999, p. 130-132.

  In La gazette de l'île Barbe n° 39

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