Les tireurs d’or et d’argent à Lyon

XVIIIe et XIXe siècles

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La maison de tissus Jaillard avait en fait été fondée en 1768 par notre ancêtre Philibert Charmy (Lyon, 1er décembre 1751 – Saint-Rambert-l’Île-Barbe [actuellement Lyon], 5 octobre 1830), " né tireur d’or le 2 décembre 1751 " selon la légende d’un portrait de lui, et de fait reçu fileur d’or en 1771 puis tireur d’or en 1782, avant son gendre Pierre Jaillard (Caluire, 29 octobre 1788 – Saint-Rambert-l’Île-Barbe, 12 juin 1851) (cf. la Famille Charmy, in la Gazette de l’île Barbe, supplément au n° 6, 4, et la Famille Jaillard, in la Gazette de l’île Barbe, supplément au n° 47, 4,8, 6, 7 et 8b). Les tireurs d’or (et d’argent) de Lyon ont été étudiés par notre autre ancêtre Ernest Pariset (Basse-Terre, 29 septembre 1826 – Lyon, 26 janvier 1912) (cf. la Famille Pariset, in la Gazette de l’île Barbe, supplément au n° 23, 8), qui cite d’ailleurs Philibert Charmy dans une note du chapitre IV de la première partie de sa brochure, non sans une coquille (" un sieur Charny "), ici corrigée.

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Première partie : XVIIIe siècle

I. Origines de la réglementation de l’industrie de la dorure

Le grand commerce international, représenté à Lyon par de riches banquiers et négociants, italiens et allemands, a développé dans la ville la prospérité et le luxe. Les métaux précieux y circulent en abondance sous les formes les plus variées : monnaies étrangères, notamment piastres et réaux d’Espagne, qui sont fondues en lingots parce qu’elles n’ont pas cours en France ; ouvrages de " grosserie " tels que vaisselle, aiguières, etc. ; ouvrages de " menuiserie ", tels que bijoux, bracelets, etc.

Charles VI, frappé de cette situation privilégiée, transporta, en 1410, à Lyon l’hôtel des monnaies qui était établi à Mâcon. La juridiction spéciale qui y est attachée sous le nom de " chambre des monnaies " ne tarde pas de prendre une grande importance : elle devient une " cour des monnaies " à laquelle, sous Louis XIV, sont réunis la sénéchaussée et le siège présidial. Elle comprend dans son ressort le midi de la France, tandis que les provinces du nord demeurent placées dans le ressort de la cour des monnaies siégeant à Paris.

Mais l’emploi de l’or et de l’argent ne doit pas être uniquement réglementé dans la fabrication des monnaies. Ces métaux, dès la plus haute antiquité, ont été employés industriellement ; et, dans tous les pays civilisés, il a été d’intérêt public d’établir une surveillance sur les ouvrages d’or et d’argent qui sont livrés par l’industrie à la consommation. En France, c’est au XIIIe siècle que les rois manifestent le désir de prévenir la fraude dans le titre énoncé par les vendeurs, de donner ainsi sécurité au trafic dans l’intérieur du royaume et de prévenir le discrédit des produits français à l’étranger. Ils fixent un titre légal pour l’or et l’argent auquel les orfèvres doivent se conformer, et ils exigent que le titre soit garanti par un poinçonnage.

Dans le livre des métiers d’Étienne Boileau, il est enjoint aux orfèvres d’ouvrer l’or à la " touche " de Paris, soit 19 carats [Le carat, titre, représente 42/1.000 : il se subdivisait en 32 parties. Le denier, titre, représente 83/1.000 : il se subdivisait en 24 grains. – Ces dénominations, carat, denier, grain, présentent quelque confusion avec celles qui étaient usitées pour peser les objets. Le carat, poids, équivaut à 2 décigrammes : il se subdivisait en 4 grains. Le denier, poids, équivaut à 13 décigrammes environ. – L’or pur était dit à 24 carats quant au titre ; et l’argent pur à 12 deniers. — NDLA.] 1/5 correspondant à 800/1.000 de fin ; et l’argent au titre des " esterlings " anglais, monnaie la plus estimée à cette époque, titre qui correspond à 917/1.000 de fin.

Philippe le Hardi, 29 décembre 1275, fixe le titre de l’argent à 11 deniers 12 grains, soit 957/1.000 ; et ordonne que pour le poinçonnage, non seulement chaque orfèvre ait sa marque spéciale, mais que tout ouvrage fabriqué soit porté à l’hôtel commun et marqué du sceau de la ville [Ordonnance de Philippe le Hardi, année 1275, et de Charles V, année 1378. — NDLA.] ou du sceau de la communauté par un orfèvre " juré [À Lyon, le poinçon de la ville portait un lion couronné, et la lettre D. Les poinçons particuliers figuraient sur une plaque déposée à l’hôtel de ville. Archives municipales, BB 242. — NDLA.] ".

Au XVIe siècle, une mesure nouvelle est prise : c’est la mesure fiscale. Charles IX, en 1579, frappe d’un impôt de trois sols par once [La livre poids se subdivisait en 2 marcs, chaque marc en 8 onces, chaque once en 8 gros, chaque gros en 3 deniers, chaque denier en 24 grains. On admet qu’une livre poids de 16 onces correspond à 489 grammes et par conséquent un marc à 245 grammes. L’once équivaut à 30,5 grammes. — NDLA.] tout ouvrage d’or ou d’argent. Ses successeurs, ayant là une source de revenus, songent à l’accroître, et à assurer la perception du droit en créant des officiers spéciaux [Voir les ordonnances de 1628, 1631, 1674. — NDLA.].

La liberté de la profession d’affineur est, d’autre part, supprimée, et défense est faite d’affiner un lingot en dehors de l’hôtel des monnaies.

II. Création de l’argue royale en 1672

Mais jusqu’alors, il n’a été question que des orfèvres [Les orfèvres, en raison de la grande valeur de leurs produits, ont joué un rôle considérable parmi les industries de luxe. Il y en a eu de célèbres à Lyon du xive au xviie siècle, comme l’a établi Natalis Rondot, après de longues et savantes recherches, les Orfèvres lyonnais du xive au xviiie siècle, Paris, 1885. — NDLA.] ; auprès d’eux, une autre corporation, celle des tireurs d’or et d’argent, s’est constituée au xvie siècle [Les premiers statuts des tireurs, écacheurs d’or et d’argent sont de l’année 1535. — NDLA.]. Le développement pris par leur industrie sous l’impulsion du grand luxe des vêtements, qui demande broderies, passementeries, galons, enjolivures, est attesté par l’accroissement du nombre des maîtres : ils étaient 13 en 1583, et ils sont 80 lorsque de nouveaux statuts sont accordés à la corporation en 1657. De plus, la prospérité et les avantages de cette industrie sont exposés par l’archevêque Camille de Neufville de Villeroy dans sa correspondance avec Colbert [Correspondance administrative sous Louis XIV, tome III. — NDLA.]. Il n’en fallut pas davantage pour que le fisc, toujours besogneux, cherchât dans la production des fils d’or et d’argent, comme dans celle des ouvrages de " grosserie " et de " menuiserie ", un revenu pour le trésor.

Le tirage du métal étant fait chez chaque maître au moyen d’une machine uniforme, " l’argue ", le gouvernement s’empara de cet instrument de travail. Une déclaration royale du 24 mai 1672 supprime les argues particulières [Le fermier de l’argue royale devait acheter les outils des tireurs dépossédés, de manière à indemniser ceux-ci. — NDLA.] et crée un établissement officiel, dénommé " argue royale ", dans lequel tout lingot, destiné à être transformé en fils, sera porté et travaillé aux frais et pour le compte du déposant. Le droit d’argue est fixé à 20 sols par marc d’argent et à 30 sols par once d’or. Aucun tireur d’or ou d’argent ne doit désormais avoir, chez lui, forges, argues, filières, outils propres à dégrossir et tirer les lingots.

En outre, défense est faite (août 1672) à tout marchand de galons, passements, boutons, broderies, d’employer des matières qui n’auraient pas reçu la marque officielle.

Pour assurer la perception des droits de garantie et du droit d’argue, le gouvernement les joint, sous le nom de " droit de marque [On le nommait aussi droit " de seigneurie ". Ces droits ont été souvent modifiés. Voir les arrêts, 15 avril 1673, 1er janvier 1678, 25 avril 1682. — NDLA.] ", aux autres contributions indirectes qui ont été affermées sous le nom de " régie des aides ".

Ainsi, dès le xviie siècle, l’industrie de la dorure a son organisation complète. Sa subdivision en deux branches est légalement reconnue : l’une très importante, celle de l’orfèvrerie, comprenant l’horlogerie et la bijouterie ; l’autre plus modeste, celle des fils d’or et d’argent demandés pour le tissage et la broderie [L’emploi des fils d’or et d’argent dans le tissage et la broderie est aussi ancien que l’emploi des métaux précieux dans la décoration des temples et la confection des bijoux. Sans remonter très loin, on rencontre dans la langue latine les adjectifs tunsile, netum, textile, appliqués au mot aurum pour désigner l’or battu, filé et tiré. — NDLA.].

III. Ordonnance du 12 juillet 1681

Cette organisation est exposée dans la grande ordonnance du 12 juillet 1681, qui est un code pour les fermiers généraux, donnant la nomenclature complète de tous les impôts qu’ils ont le droit de percevoir [Ordonnance, datée du 12 juillet 1681, pour servir de règlement sur plusieurs droits des fermiers. — NDLA.]. Le chapitre relatif aux droits de marque sur l’or et sur l’argent comprend dix-neuf articles.

L’article premier fixe la taxe à 3 livres par once d’or et à 40 sols par marc d’argent, pour les métaux mis en œuvre par les orfèvres, les tireurs d’or, les horlogers, etc. De plus, il y avait à acquitter des droits de contrôle.

C’est progressivement que le droit de marque avait été augmenté. Il avait atteint le taux énorme ici rappelé en février 1674.

L’article troisième autorise le fermier à avoir un commis chargé de contremarquer avec un poinçon spécial, nommé poinçon de " décharge ", les ouvrages d’or et d’argent qui auront été pris au bureau de contrôle et qui auront acquitté le droit.

Un autre poinçon, dit poinçon de " charge ", pouvait être appliqué (article huitième) sur un ouvrage non achevé mais contrôlé, pour lequel le droit n’aura pas été payé.

L’article dixième défend aux orfèvres, batteurs et tireurs d’or, et tous ouvriers en or et en argent, de vendre des objets qui n’auraient pas été poinçonnés, ou marqués, suivant les prescriptions de la loi, dans le bureau de contrôle.

L’article douzième est ainsi rédigé : " Voulons que, dans les villes où il peut y avoir des tireurs d’or, il n’y ait qu’un seul lieu où des forges et argues soient établies par le fermier de nos droits. "

" Seront tenus les tireurs d’or et d’argent (art. XIV) d’en porter les lingots aux forges et argues des fermiers généraux, pour y être forgés, dégrossis et tirés en payant les façons au prix ordinaire.

" Défendons (art. XV) aux tireurs d’or et d’argent d’en employer d’autre, pour leurs ouvrages, que celui qui aura été tiré, forgé et dégrossi dans les forges et argues du fermier de nos droits. "

En résumé, d’après les prescriptions de cette importante ordonnance, l’acheteur trouve dans des bureaux de garantie [Les hôtels de monnaies pouvaient, d’après la loi, être utilisés comme bureaux de garantie, mais ils étaient en très petit nombre. En 1717, on en compte seulement cinq : Paris, Rouen, Reims, Lyon, Bordeaux. — NDLA.] (art. VI) sa sécurité pour le titre des ouvrages d’or et d’argent, puisque des marques et poinçons [Voir la Garantie française et les poinçons, par de Cazeneuve, Alger, 1898. Cet ouvrage renferme un tableau complet des poinçons qui ont été utilisés après l’établissement du contrôle. – L’ordonnance du 24 janvier 1749, qui rend obligatoires les registres cotés et paraphés, énonce un certain nombre de poinçons. — NDLA.], tous variés, lui indiquent l’origine, le titre, le paiement des droits. Il est garanti, pour les fils d’or et d’argent, par l’obligation faite aux tireurs d’avoir une marque déposée au greffe, et d’employer seulement les forges et argues royales.

Le nombre des bureaux de garantie n’était pas limité, beaucoup de villes renfermant des jurandes d’orfèvres ; mais des argues royales n’avaient été établies qu’à Paris et à Lyon.

IV. Opérations dans les bureaux de garantie et dans les argues royales

Au commencement du xviiie siècle, notre cité possède, outre l’hôtel des monnaies, un bureau de garantie et des argues royales. Ces deux derniers établissements publics fonctionnent sous la surveillance des officiers des monnaies. Ils sont soumis, comme l’hôtel des monnaies, à la juridiction de la cour des monnaies [L’arrêt du conseil du roi en date du 4 mai 1655 confirme la juridiction de tout ce qui concerne l’art du tireur d’or, jurande, maîtrise, abus et règlements, fonte et affinage, aux officiers de la cour des monnaies et jurés gardes, privativement à tout autre juge, avec défense au présidial, aux prévôt des marchands et échevins d’en prendre connaissance. – Le consulat, qui avait la direction et la surveillance de tous les corps de métiers, fut toujours tenté d’empiéter sur les droits accordés à la cour des monnaies en ce qui concerne les jurandes des industries d’or et d’argent. Voir, Archives, BB 258, un conflit en 1699 entre le consulat et la cour des monnaies. — NDLA.]. Quel est leur fonctionnement ?

Dans le bureau de garantie, on procède à deux opérations distinctes. L’une consiste à essayer les ouvrages fabriqués, et à les poinçonner conformément à leur titre contrôlé. L’autre consiste à " affiner " les lingots en présence des officiers des monnaies, c’est-à-dire à séparer les métaux communs et à former des blocs d’or ou d’argent pur, qui sont rendus au déposant.

Les affineurs [Des détails fort intéressants sur les procédés d’extraction des métaux et de l’affinage se trouvent dans l’ouvrage, plein d’érudition, Monnaies, Médailles et Bijoux, par Riche, membre de l’Institut, Paris, 1889. — NDLA.] doivent (ordonnance d’octobre 1689) travailler l’or au titre minimal de 23 carats 26/32 (992/1 000) et l’argent au titre minimal de 11 deniers 18 grains (980/1 000).

L’orfèvre emporte les lingots affinés. Il a l’habitude de faire des alliages : il peut employer (ordonnance de 1586) l’or au titre de 22 carats avec 1/4 du remède [Le titre de 19 carats, primitivement fixé pour l’or industriel, avait été élevé par François Ier, en 1540, à 23 carats 3/4. Il fut ramené par Henri II à 22 carats, et maintenu tel dans les ordonnances de 1586 et 1679. — NDLA.], et l’argent au titre de 11 deniers 12 grains avec remède de 2 grains.

Le batteur [Les statuts des batteurs d’or sont de 1718. – Un mémoire, non daté, qui se trouve aux archives départementales, dit que les batteurs étaient autorisés à faire des feuilles au titre de 22 carats pour être appliquées sur le laiton et le cuivre ; et même des feuilles à 18 carats (soit 750/1 000) destinées aux reliures de livres. — NDLA.] doit, d’après l’ordonnance de 1586, employer l’or à 24 carats, remède 1/4, et l’argent à 12 deniers avec remède 4 grains ; il se borne donc à transformer chez lui les lingots affinés en feuilles minces d’une grandeur uniforme et de même épaisseur qui sont livrées à la consommation.

Le tireur n’a aucun travail à exécuter.

Le lingot d’argent affiné, qui doit être étiré, est remis aux argues royales [L’obligation de porter aux argues royales tous les lingots d’argent qui sont destinés à être étirés a été confirmée par la déclaration royale du 7 mai 1725. — NDLA.] : son titre est de 11 deniers 18 grains (soit 980/1 000) ; un faible alliage de cuivre est nécessaire pour rendre l’argent plus malléable et plus ductile.

Ce lingot est d’abord dégrossi et forgé, c’est-à-dire qu’à l’aide de la forge et du marteau, il est fractionné en bâtons cylindriques qui ont uniformément une longueur de 60 à 70 centimètres et un diamètre d’environ 6 centimètres.

Chaque bâton, effilé à une extrémité, est introduit dans un trou de filière, saisi avec des tenailles qui sont fortement fixées à un câble, et étiré au moyen de " l’argue [Le mot " argue " vient de l’italien argana. Ducange, dans son dictionnaire, énumère, outre ces mots, l’espagnol argano, le latin arganum. L’origine de ces noms paraît être le grec organon. – La machine a donné son nom à l’établissement officiel où elle fonctionnait. — NDLA.] ", cabestan autour duquel le câble s’enroule. Le bâton, aminci et allongé, est passé de nouveau dans un autre trou plus étroit. Puis la même opération se répète, et, les trous de la filière diminuant progressivement de diamètre, le bâton, à la fin de l’opération du tirage, peut être réduit à un fil qui a un demi-centimètre de diamètre. C’est en cet état qu’il est, sous le nom de " trait ", rendu au tireur propriétaire du lingot. Toutefois l’opération peut être arrêtée plus tôt, suivant la grosseur du trait que le tireur désire avoir pour sa vente.

On distingue par des noms différents ce que l’on peut nommer les étapes de l’étirage. La filière aux trous les plus larges, dénommée " ras ", forme la première étape, qu’on appelle " dégrossissage ". La filière suivante, dénommée " prégaton ", donne la seconde [sic] étape, dite " déprimage ". La troisième filière, nommée " demi-prégaton ", donne la troisième étape, dite " avançage ", etc.

Les traits eux-mêmes avaient des noms et des marques indiquant leur grosseur : " gaze P ", " toque prime 2 P ", " apoint 3 P 1/2 ", " superfin 4 P ". Le sens de la lettre P n’est pas connu : on peut supposer qu’il indique le " passage " dans les filières, qui seraient désignées par les numéros [Ces noms des traits se rencontrent dans l’ordonnance du 22 mai 1686, et reparaissent souvent dans les arrêts de la cour des monnaies. – L’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon a, dans sa séance du 15 janvier 1782, entendu un rapport sur des inventions d’un sieur Charmy que le consulat lui avait demandé d’apprécier, inventions relatives à l’art du tireur d’or. Cet inventeur, qui a fait paraître un mémoire descriptif, en 1785, a eu de vifs débats avec la communauté. Voir Bibliothèque Coste, n° 10843. — NDLA.].

Le lingot d’or n’est pas étiré : ce que l’on nomme " fil d’or " est, en réalité, un trait d’argent doré. On dore, avant l’étirage, le bâton d’argent, en le recouvrant de feuilles d’or qui sont retenues à l’aide de bandes de toile. La soudure des deux métaux est obtenue par l’action d’une forte chaleur à laquelle le bâton doré est soumis dans la forge, puis par le polissage qu’on pratique avec un corps dur, tel qu’un silex.

Les trous des filières exigent une grande surveillance. Ils se déforment facilement : il faut souvent les " accoutrer [On nomme " accoutrage " la réparation des filières. — NDLA.] ".

Les traits métalliques, argent doré et argent, tels qu’ils sont livrés par l’établissement des argues royales, n’ont qu’un emploi très restreint [Les fils métalliques servent à la fabrication des paillettes et des cannetilles. On en emploie aussi dans quelques passements et broderies. — NDLA.]. La consommation générale demande sous les noms de fils d’or et d’argent de véritables " filés " composés d’un textile [Règlements de l’année 1657, article VIII. — NDLA.] enveloppé d’une lame métallique très mince. Les tireurs d’or et d’argent peuvent fabriquer ces filés dans leurs ouvroirs ou les faire fabriquer au-dehors [Voir un arrêt de la cour des monnaies du 20 septembre 1688 : à la suite de conflits entre les tireurs d’or et les guimpiers, défense est faite aux tireurs d’or de donner du travail hors de leur ouvroir, et aux guimpiers d’écacher pour d’autres ouvrages que les leurs. — NDLA.] ; mais d’autres industriels, fabricants d’étoffes, guimpiers [La corporation des guimpiers, gazetiers, écacheurs et filateurs a des statuts datés du 21 juin 1668. — NDLA.], gazetiers, passementiers, sont autorisés également à fabriquer des filés.

Cette fabrication comprend deux opérations : " l’écachage " et le " moulinage ".

L’écachage est l’aplatissement du trait passant dans un " laminoir " qui est composé de deux meules en acier trempé, d’inégale grandeur, superposées dans un plan vertical. La pression plus ou moins forte exercée sur les roues détermine l’épaisseur de la lame d’argent ou d’argent doré ; la courbure des roues, qui ont leurs bords bombés, détermine la largeur de la lame. Dans cette opération, le trait, qui était mat, devient une lame brillante.

Les rubans métalliques, enroulés sur des roquetins, sont portés à un " rouet " où préalablement ont été placées des bobines chargées de soie. Le fil soyeux est mis en mouvement ; et, à mesure qu’il se déroule, entraîne la lame, qui, par suite d’une vive rotation imprimée aux roquetins, enveloppe la soie [On nomme " cueilleux " les roquets sur lesquels s’enroulent les filés. — NDLA.]. On varie l’aspect des filés en modifiant la combinaison des textiles, la largeur ou la torsion des lames.

Cette dernière opération, moulinage de la lame d’argent sur un textile, offrait de grandes difficultés. Aussi, les filés milanais étant réputés les plus beaux, les autorités lyonnaises s’efforcent-elles d’introduire à Lyon la fabrication de l’or filé à la façon de Milan [Le premier essai, à Lyon, du procédé milanais est mentionné en 1551. Archives, BB 72. — NDLA.]. La correspondance de l’archevêque Camille de Neufville de Villeroy avec Colbert [Lettres des 1er novembre 1667, 14 septembre 1668, 20 novembre 1669, Correspondance administrative sous Louis XIV, tome III. — NDLA.] montre combien était jugé important ce perfectionnement auquel Louis XIV et la reine s’intéressent eux-mêmes [Le roi, ayant à accorder à un nommé Claustrier un office sollicité, lui impose d’établir à Lyon une fabrique où l’or sera filé à la milanaise ; Archives, BB 224. Voir aussi, pour ce fait, Bibliothèque Coste, n° 10711. — NDLA.].

À suivre.

Ernest Pariset.

Ancien fabricant de soieries.

A. Rey, imprimeur de l’Académie, Lyon, 1903.

  In La gazette de l'île Barbe n° 48

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