Les tireurs d’or et d’argent à Lyon

xviiie et xixe siècles

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Seconde partie : xixe siècle

III. Le bureau de garantie sous le nouveau régime libéral

L’année 1864 marque pour l’industrie de la tréfilerie le commencement d’une évolution complète.

Dès l’année 1863 [Voir Dictionnaire des Contributions indirectes, Trescoz, Paris, 1884, page 826. Il donne un résumé d’une décision administrative, datée du 24 avril 1863 où il est dit : " En raison des nombreuses réclamations produites, l’administration tolère que les lingots destinés à être convertis en fils soient tirés dans des argues particulières et affranchis des droits. " — NDLA.], les tireurs d’or et d’argent obtiennent la suppression du droit d’argue et l’autorisation de tirer chez eux les lingots d’argent.

En 1864, les argues de Lyon [L’argue de Lyon était alors rue Sainte-Croix, près la cathédrale de Saint-Jean. Le bureau de garantie ainsi que l’argue royale avaient dû quitter le quartier des Célestins en 1855. — NDLA.] et de Trévoux cessent de fonctionner ; les agents des Contributions indirectes ne font plus d’inspection chez les tireurs d’or et d’argent, ceux-ci deviennent libres de faire les traits en fin et en faux comme ils l’entendront, mais sous leur responsabilité ; l’acheteur, pour le titre stipulé sur la facture, doit se fier à la bonne foi du vendeur.

Le bureau de garantie de Lyon ne subit aucune modification [Après la suppression de l’argue, le bureau de garantie fut transporté rue du Peyrat. Il est aujourd’hui rue Molière. — NDLA.]. Sa circonscription est même augmentée par suite de la suppression du bureau de garantie qui était à Trévoux [Décret du 8 octobre 1861. Les tireurs trévolciens, parmi lesquels figure la très ancienne maison Charbonnet, avaient sollicité cette mesure. Voir quelques détails sur les fileurs de Trévoux : Statistique générale de la France, 1808. — NDLA.]. Et, plus tard, il voit son importance croître, car il est compris parmi les douze bureaux désignés, dans le décret du 11 novembre 1890, pour les opérations d’essai et de marque qui sont imposées aux ouvrages d’or et d’argent, soit à l’importation, soit à l’exportation.

Aurait-il été prudent de s’exposer, en modifiant les bureaux de garantie, à troubler la sécurité du commerce si considérable des ouvrages d’or et d’argent que l’orfèvrerie, la bijouterie et l’horlogerie mettent dans la circulation ?

Dix-neuf poinçons [L’article huitième de la loi du 19 brumaire an VI différencie les poinçons sous les noms suivants : les gros ouvrages, les menus ouvrages, les vieux ouvrages dits " de hasard ", les ouvrages venant de l’étranger, les doublés et les plaqués, les lingots. Il faut ajouter les poinçons de " recense " qu’on créait, au fur et à mesure du besoin, pour empêcher les infidélités et les contrefaçons en cas de perte ou de vol des poinçons : c’est ainsi que des réformes générales sont ordonnées successivement, le 31 mars 1803, le 22 octobre 1817, le 7 avril 1838. — NDLA.] avaient été jugés nécessaires par la législation de l’an VI pour protéger le public contre les fraudes auxquelles la variété des titres autorisés pouvait donner lieu. Il faut les modifier constamment et en créer de nouveaux ; tantôt ce sont les traités de commerce et le régime douanier international qui amènent des changements dans l’importation et l’exportation [Lois du 13 janvier 1864, du 26 novembre 1873, du 27 juillet 1878, du 25 janvier 1884, du 26 décembre 1887, du 29 janvier 1893. — NDLA.], tantôt c’est la nécessité d’accorder à l’horlogerie un titre bas, 583/1 000, pour qu’elle puisse lutter contre la concurrence étrangère [Loi du 25 janvier 1884. Ce titre de 583/1 000, correspondant à 14 carats, est toléré seulement pour les boîtes de montre en or destinées à l’exportation. Il a été créé afin de permettre aux horlogers de Besançon de lutter contre les fabricants suisses. C’est ce même décret du 25 janvier 1884 qui accorda aux orfèvres la liberté de fabriquer et de vendre, mais sous leur seule responsabilité, des ouvrages dans tous les titres. L’État ne s’engageait à donner sa garantie, à l’aide des poinçons officiels, qu’aux titres indiqués par la loi, auxquels s’ajoutait le nouveau titre de 583/1 000, constituant un quatrième titre légal pour l’or. — NDLA.].

En outre, les bureaux de garantie offraient une grande facilité pour percevoir les droits dus à l’État et que le gouvernement conservait la latitude d’augmenter, comme il le fit en 1872 [La loi du 30 mars 1872 porte les droits de garantie pour l’or à 30 francs l’hectogramme plus le double décime et demi, soit 37 fr[ancs] 50, et le droit de garantie pour l’argent à 1 fr[anc] 60 l’hectogramme plus le double décime et demi, soit 2 francs. — NDLA.].

Les services rendus par les bureaux de garantie, dont le nombre n’est pas limité [Le gouvernement crée ou supprime les bureaux de garantie suivant les besoins du commerce. Voir Bulletin des lois, passim. – La loi du 19 brumaire an VI avait fixé un maximum de 200 ; la loi du 4 février 1835 fixe le chiffre de 91. — NDLA.], exigent qu’ils soient maintenus. Mais ces établissements cessent d’avoir un intérêt pour les tireurs et les fileurs d’or et d’argent. Il ne saurait être question de la garantie à demander à l’État : dès qu’il n’y a plus obligation d’un titre légal, l’acheteur doit accepter comme sincère la déclaration du titre inscrit sur la facture ; s’il le conteste, c’est à lui de faire contrôler chez un essayeur du commerce (celui qui est au bureau de garantie ou tout autre) le titre qui paraît inexact.

IV. Modifications apportées, après la suppression de l’argue royale, dans les machines d’étirage
et dans les procédés de dorure et d’argenterie pour réaliser le bon marché des traits

À peine ont-ils conquis la liberté du travail, les tireurs d’or et d’argent ont tourné tous leurs efforts vers la production du bon marché. Ils créent des usines où les machines sont actionnées par la vapeur ou l’électricité ; ils transforment l’outillage en utilisant toutes les inventions des mécaniciens ; ils adoptent de nouveaux procédés pour combiner l’or, l’argent et le cuivre en abaissant les titres.

L’organisation nouvelle de la tréfilerie mérite d’être décrite.

Le lingot métallique du poids de 5 à 6 kilogrammes [Le lingot de cuivre pèse en moyenne 25 kilogrammes. — NDLA.], ôté du moule où il a été coulé, est soumis à une machine nommée " laminoir à gorge ", qui le transforme en un cylindre ayant de 65 à 80 centimètres de long et de 3 à 6 centimètres de diamètre, suivant la matière.

La pointe, qui doit faciliter le passage du bâton cylindrique dans la première filière, est rapidement exécutée par une machine. C’est cette pointe qui doit être saisie par les tenailles pendant l’opération de l’étirage.

L’argue, le volumineux cabestan d’autrefois, est devenue une chaîne sans fin d’une grande longueur. Elle tourne à l’aide de la vapeur et entraîne les tenailles accrochées à un de ses anneaux, étirant ainsi le bâton, qui s’allonge et s’amincit. Après plusieurs opérations du même genre, les trous de la filière étant successivement utilisés, le bâton rectiligne peut être amené à une longueur de 16 mètres et son diamètre réduit à 1 centimètre.

Au sortir de l’argue, la tige, la " gavette ", est assez flexible pour être enroulée sur une bobine conique dite le " chapeau " ; elle est étirée et amincie par le passage dans différentes filières dont les trous diminuent progressivement de diamètre. Cette série d’opérations est subdivisée, comme autrefois, en étapes qui se nomment, suivant le degré de grosseur réalisée : " dégrossissage ", " primage ", " avançage ". Après la première étape, le trait a un diamètre de 3 millimètres ; après la seconde [sic], un diamètre de 1 millimètre ; après la troisième, un diamètre d’un demi-millimètre.

Un grand perfectionnement a été apporté aux trous des filières et a permis d’obtenir des traits d’une finesse merveilleuse. Tandis que, dans les argues royales, on limitait le diamètre du fil à une ligne, soit 2 millimètres environ [Voir l’édit de 1766, qui a créé l’argue de Trévoux. — NDLA.], on peut aujourd’hui, avec les filières en acier, abaisser le diamètre à 4/10 de millimètre ; puis, en se servant de diamants percés à leur centre et enchâssés au milieu de disques en laiton, on peut atteindre le diamètre de 3/100 de millimètre. L’ouverture de cette dernière filière n’est visible qu’avec une loupe [Les diamants s’usent à la longue et la filière devient " carrée " ; il faut alors les repolir avec de la poussière de diamant. Mais alors l’ouverture s’est agrandie et ne porte plus le même numéro que précédemment. — NDLA.].

Le fil métallique, livré sur bobines, se nomme " trait " comme autrefois ; mais les industriels qui le produisent se nomment " tréfileurs d’or et d’argent " et non plus " tireurs d’or et d’argent ".

Les traits dont le diamètre est compris entre un millimètre et quatre dixièmes de millimètre sont au nombre de dix-huit et se nomment " paillettes " ; le trait paillette le plus fin pèse 1 118 grammes par 1 000 mètres : on en fait 894 mètres avec 1 kilogramme d’argent.

On nomme la série suivante " traits bouillons " ; ils sont au nombre de seize. Le plus gros se confond avec le dix-huitième trait " paillette " et a un diamètre de quatre dixièmes de millimètre. Le plus fin, qui a un diamètre de onze centièmes de millimètre, pèse 92 grammes par 1 000 mètres ; on en fait 10 843 mètres avec 1 kilogramme d’argent.

La série des traits les plus fins, désignés sous le nom de P, 1P, 1P 1/2, 2P à 7P 1/2, se compose de quatorze numéros présentant des diamètres qui décroissent de cent-six à trente-huit millièmes de millimètre. Le dernier de la série, 7P 1/2, pèse 10 grammes 113 par 1 000 mètres [M. Bocuze, qui, depuis 1860, dirige une des plus importantes maisons de Lyon, et qui, du reste, a, le premier, pris un brevet, le 13 janvier 1866, pour la fabrication des fourrés, a établi le tableau de ces différents traits : paillettes, bouillons, etc. — NDLA.]. On peut donc, avec l’outillage perfectionné actuel, faire de 1 kilogramme d’argent un fil qui aurait 98 882 mètres de long [Cette limite de finesse n’est pas infranchissable, car déjà on a créé le trait 8P, ayant un diamètre de 35 millièmes de millimètre. On a fait 110 kilomètres de fils avec un kilogramme d’argent. — NDLA.].

Les machines pour aplatir les traits en lames et pour mouliner celles-ci sur un textile, c’est-à-dire le laminoir à deux meules superposées et le rouet, ont été perfectionnées, mais pas transformées. Ce sont elles que l’on rencontre dans les ateliers des guimpiers.

Quant aux procédés pour argenter et dorer, il y en a deux.

L’un se nomme dorure ou argenture " au feu ". L’opération est faite sur le lingot cylindrique avant de procéder à l’étirage : c’est l’ancien procédé. On argente le cuivre en enveloppant de feuilles d’argent le bâton préalablement recouvert d’un mordant ; on dore le bâton d’argent ou le bâton de cuivre argenté en l’enveloppant de feuilles d’or. La soudure des métaux est réalisée par le chauffage dans une forge, puis par un polissage à l’aide d’un corps très dur. L’argent et l’or laminés en feuilles doivent être très purs ; au titre de 1 000/1 000. On multiplie le nombre des feuilles suivant le titre qu’on veut obtenir, mais en tenant compte, pour déterminer le poids d’or qui doit demeurer soudé à l’argent, que l’argent absorbe une partie de l’or destiné à former la couche de dorure. Ce procédé de la dorure au feu, qu’on nomme aussi dorure " à la feuille ", est principalement employé lorsqu’il s’agit d’une dorure riche et solide.

L’autre procédé, nommé dorure ou argenture " au bain ", a été inventé après la découverte de la galvanoplastie, au milieu du xixe siècle. Il n’est pas appliqué, sur le lingot, avant l’étirage, mais sur le fil étiré, sur le trait. Le métal précieux se dépose très lentement sur le fil qui traverse les bains de dorure ou d’argenture, et on calcule facilement l’épaisseur de la couche suivant le dosage des bains.

C’est donc un excellent procédé pour varier et abaisser le prix des traits. Il a un inconvénient : c’est que, l’opération se faisant à froid, les deux métaux ne se soudent pas ; il y a simple dépôt de métal précieux, et la dorure ou l’argenture offre peu de solidité. Il faut encore observer que la répartition de l’or à la surface du fil n’est pas absolument uniforme.

Au lieu de passer au bain le trait et de produire une lame dorée ou argentée sur ses deux faces, le tireur d’or et d’argent peut réaliser une économie en soumettant le filé à la dorure ou à l’argenture. En opérant ainsi, il ne dore ou n’argente qu’une seule face de la lame enroulée sur la soie.

De nombreuses autres associations de l’or, de l’argent et du cuivre furent essayées. Le désir de réaliser le bon marché excita les chercheurs.

Lorsqu’en 1860 les tireurs d’or et d’argent avaient sollicité l’autorisation de modifier le titre légal de 990/1 000 de fin, ils avaient signalé la concurrence des industriels anglais qui, depuis longtemps, tiraient l’argent à 900/1 000 de fin. Ayant obtenu la liberté du titre, ils essayèrent donc de produire l’alliage à 900/1 000 de fin. Ils y renoncèrent bientôt, n’ayant pu réussir qu’avec un coût de production excessif. Un fabricant lyonnais [M. Bocuze, en 1866. Cet habile tireur d’or et d’argent a fait faire plusieurs progrès à son industrie, comme le prouvent divers brevets dont le premier est daté du 6 janvier 1866. — NDLA.] eut alors l’ingénieuse idée d’introduire, avant le tirage, un cylindre de cuivre dans le bâton d’argent. Après de nombreuses tentatives, il réussit à former un trait présentant un fourreau d’argent et une " âme " de cuivre.

Le trait " fourré " était créé, donnant la possibilité d’abaisser le titre par la diminution de l’épaisseur du fourreau d’argent.

V. Situation actuelle de la tréfilerie à Lyon

Ainsi armé d’une grande variété [On produit même des traits en métal blanc (composé de cuivre, zinc et nickel), que la passementerie utilise. Ce fil de métal blanc ne peut être directement doré : il doit être préalablement argenté. — NDLA.] de traits, la tréfilerie a pris un développement considérable. Sa production, évaluée 8 millions de francs en 1860, atteint, à la fin du siècle, 18 millions de francs, y compris le fin, le mi-fin et le faux [On nomme " fin " le fil qui titre plus de 50/1 000 ; il est dit " mi-fin " lorsque son titre est entre 50/1 000 et 20/1 000 ; dans les titres au-dessous de 20/1 000, il est dit " faux ". On descend jusqu’à 8/1 000 de fin. — NDLA.].

Le centre de production le plus important de France est la ville de Lyon.

Les produits de l’industrie lyonnaise, traits et filés, sont connus et appréciés sur tous les marchés du monde. Ils sont sans concurrents pour le fin et le mi-fin.

Il n’existe pas de droit de sortie de France, et on peut dire que nos produits ne sont pas protégés, car les droits d’entrée sur les produits étrangers sont minimes [L’article du tarif de douane concernant l’or et l’argent est ainsi conçu : – " Tiré, laminé, filé, en barres de 5 millimètres d’épaisseur ; en bandes de 1 millimètre d’épaisseur ; en fils d’au moins 2 millimètres de diamètre : 10 francs pour 100 kilogrammes. – " Autres : 500 francs par 100 kilogrammes. " — NDLA.]. Les droits d’entrée, au contraire, dans les pays étrangers qui ont grand souci de protéger leurs produits indigènes, varient de 10 à 20 pour 100 [Droits d’entrée en Allemagne, Autriche, Italie, Suisse, etc. L’entrée est libre en Angleterre. — NDLA.] ad valorem, atteignent 30 pour 100 aux États-Unis, et même 60 pour 100 en Russie. Cependant, les Allemands sont les seuls qui fassent une concurrence sérieuse aux tréfileurs lyonnais.

Afin d’aider à la concurrence avec les produits du dehors, les fabricants se sont spécialisés. Ils s’appliquent à perfectionner chacune des branches de la production. Ils se tiennent au courant de toutes les inventions, en chimie, en physique, en mécanique. Ils descendent aux moindres détails de la fabrication. Ils s’efforcent d’arriver pratiquement à ces tours de main que seule l’expérience apprend et qui, le plus souvent, sont causes de la supériorité du produit.

On compte aujourd’hui à Lyon dix tréfileurs [Il y a seulement deux affineurs à Lyon, vendeurs de lingots d’or ou d’argent. — NDLA.] qui ont leurs usines dans le département du Rhône et dans les départements voisins.

Autour des tréfileries se groupent environ cent cinquante guimpiers, dont les neuf dixièmes possèdent de petits ateliers où travaillent de deux à six machines. Les uns emploient le fil métallique cylindrique et confectionnent des " paillettes ", des " cannetilles ", des " bouillonnés [Les paillettes sont faites avec des anneaux prélevés sur un fil très fin, puis écrasés au pilon. La cannetille est un fragment de fil contourné en spirales, comme une vrille de plante. Le bouillonné est formé d’une cannetille repliée sur elle-même, de manière que les spires entrent les unes dans les autres, formant une sorte de cylindre. — NDLA.] ", etc. Les autres laminent et moulinent le fil [L’ouvrier qui surveille le laminoir, formé des deux meules, se nomme aujourd’hui " batteur ". — NDLA.], produisant avec les plus ingénieuses machines ces enjolivures [L’or " frisé " est produit en appliquant une feuille d’or sur une soie moulinée qui est composée d’un fil sur lequel est enroulé un autre fil, faisant des saillies bien marquées. La coloration de l’or varie suivant que le métal couvre la saillie ou entre dans la partie creuse que présente la surface de la soie moulinée. — NDLA.] variées qui sont utilisées dans les passementeries, les galons, les franges, les broderies.

Entre les deux classes de producteurs se placent les marchands fabricants de dorure. Ils sont au nombre de soixante, parmi lesquels on compte quelques producteurs de filés. Ils sont les intermédiaires de la grande consommation. Ces marchands, très expérimentés dans tout ce qui concerne l’art de la dorure, créent des échantillons qu’ils varient suivant les goûts des différentes nations européennes ou asiatiques ; et sur ces échantillons prennent des commissions. Ils sont en relations constantes avec les tréfileurs auxquels ils achètent et commandent les traits, et avec les guimpiers qui confectionnent avec les traits les articles vendus.

La liberté du titre et l’absence de garantie officielle n’ont pas rendu plus fréquentes les contestations. Les tireurs d’or et d’argent sont très soucieux de leur réputation. Ils savent d’ailleurs que ceux qui font le commerce de la dorure acquièrent l’habitude de reconnaître, à la seule inspection, le titre approximatif du trait ou du filé.

Au reste, les acheteurs peuvent se procurer, comme le font les essayeurs, des séries de touchaux types dont la couleur décèle l’alliage. On trouve des touchaux qui, pour l’or, représentent des alliages aux titres de 583/1 000, 625/1 000, 667/1 000, 708/1 000, 750/1 000 ; qui, pour le doré, représentent même le titre très faible de 150/1 000 ; qui, pour l’argent, représentent des alliages aux titres de 950/1 000, 930/1 000, 800/1 000, 780/1 000, 740/1 000, 700/1 000 [Quand on est en présence d’un alliage, les touchaux sont d’un emploi utile et facile. – L’acheteur expose le trait, ou la lame détachée du filé, à une flamme ardente ; et il examine la boule qui apparaît pendant la combustion. Cette boule demeure blanche s’il y a plus de 900 millièmes d’argent fin. Si la boule est colorée, c’est que le titre est plus faible. Il prend cette boule et l’écrase sur la pierre de touche : la couleur du touchau identique à celle de l’empreinte faite sur la pierre de touche donne par comparaison l’alliage du trait. La théorie des essais au touchau a déjà été exposée. – Quand il n’y a pas alliage mais superposition des métaux, l’essai par le touchau ne peut pas se faire. Il faut recourir à un autre procédé. – En 1901 a paru dans la Revue du service de l’Intendance une étude générale des galons d’or et d’argent en usage dans l’armée, par Roman et Dellue, pharmaciens militaires. Les auteurs indiquent les procédés pour reconnaître les quantités d’or, d’argent et de métal blanc que contiennent les galons employés dans l’armée. — NDLA.].

La possibilité de diminuer, dans des proportions pour ainsi dire illimitées, la quantité de métal fin dans les traits dorés ou argentés a permis à l’industrie de la dorure d’aborder la consommation qui veut des produits à très bon marché. Elle n’est plus, comme autrefois, une industrie uniquement de grand luxe, et, de même que la brillante industrie des soieries, à laquelle elle est intimement liée, elle s’est démocratisée.

Aussi l’emploi de l’or et de l’argent sans alliage devient-il de plus en plus rare, tandis qu’il était général du xve au xviiie siècle. C’est un fait regrettable, car c’est la pureté des métaux qui leur a conservé leur éclat dans les tapisseries et étoffes anciennes, même dans ces draps d’or du Moyen Âge où l’on trouve des filés formés, non pas avec des lames d’argent doré, mais avec du papier qui est recouvert d’une feuille d’or [L’invention du papier aurifère est attribuée aux Chinois. Ils le moulinaient sur un fil de soie, tandis que les Occidentaux ont mouliné le papier doré sur un fil de lin. – L’usage du papier aurifère a été fréquent, du xie au xiiie siècle, dans les fabriques byzantines, arabes, siculo-arabes. Il est, au xive siècle, employé principalement par les tisseurs et brodeurs allemands. – Voir dans le Bulletin des soies et soieries, année 1877, la note publiée par P. Brossard, directeur du Musée Industriel de Lyon. — NDLA.].

Ernest Pariset.

Ancien fabricant de soieries.

A. Rey, imprimeur de l’Académie, Lyon, 1903.

  In La gazette de l'île Barbe n° 52

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