– sur les ravages de
l’épidémie à Lyon et sur le dévouement
des Lyonnais : père Grillot, jésuite, Lyon affligé de contagion,
Lyon, 1629, repris in Dominique
Meynis, Grands souvenirs de
l’Église de Lyon, Librairie générale catholique et
classique, Lyon, 1886, Ve
époque, chapitre II, p. 275-290 ; – sur l’organisation administrative
et médicale de lutte contre la peste au xviie
siècle à Lyon : Marcel Grozelier, " Lyon en
1630 ", in Fragments
d’histoire médicale, 1904, cité in Jacques Borgé et
Nicolas Viasnoff, Lyon : vingt
siècles de chroniques surprenantes, Balland, mars 1982, p. 141-154. La peste a décimé le
Lyonnais en 1564, 1577, 1582, et de façon quasi
endémique à partir de 1628, avec des recrudescences en
1629, 1631, 1638, 1642, jusqu’en 1643, année où le
consulat de Lyon voua la ville à la vierge Marie et où
la peste fut éradiquée de la région.
La terrible peste qui ravagea notre
contrée pendant les années 1628 et 1629
n’épargna pas Chaponost. Malheureusement, les registres
paroissiaux de cette période n’existent plus, et il est
impossible de dénombrer exactement les victimes de ce
fléau. Toutefois, les actes notariés d’une part
[Minutes de Me Guillaume
Saunier, a[rchives] d[épartementales du] Rh[ône],
série 3 E 73, 74 et 75, passim, aux
dates indiquées. — NDLA.], les registres du Bureau de santé de Lyon
d’autre part, en révélant quelques noms, nous font
surtout connaître d’intéressants détails de
mœurs. L’une des premières victimes
fut, sans doute, Anthoine Comba, dict piro, l’un des consuls pour 1629, " mais bien
tôt décédé du mal contagieux ". La
tutelle de ses enfants fut confiée à son
collègue Jehan Féraud l’aîné ; mais deux
filles au moins suivirent leur père dans la tombe : Augustine,
avant Noël 1628, et Christine, vers la fin janvier 1629. Au
printemps, Claude Carrière est atteint en pleines fenaisons ;
il meurt sans avoir pu " recueillir et mettre au point l’herbe
maresche ou foing " du pré sis à Charmanon, qu’il
louait à noble François Laurencin, chanoine des
églises Saint-Just et Saint-Paul. Celui-ci, un an plus tard,
compensera un peu cette perte en diminuant 15 livres sur le louage du
pré à sa veuve, déjà remariée
à Anthoine Font. Mais rapidement la contagion
s’étend, et plusieurs familles sont très durement
éprouvées : Claude Ponsset meurt avec sa femme et trois
enfants ; de même, le notaire Anthoine Régnier, sa femme
Marguerite Gobier, et leur fils Anthoine. Pierre Poyte voit mourir
son père, sa femme et ses enfants. Anthoine Comba,
dict catra, succombe ainsi que son fils Guillaume et trois
autres de sa maison. Citons encore Pierre Chamby, François
Pyot et Marguerite Fayetton, femme de Jacques Boyvert. Au total,
vingt-cinq victimes connues, mais combien d’autres à jamais
ignorées ! On imagine volontiers
l’atmosphère de crainte qui dut se répandre sur le
village, sans jamais cependant tourner à la panique, à
ce qu’il semble. Les archives notariales nous permettent de
reconstituer quelque peu le climat de ces années
terribles. Ils ne mouraient pas tous, mais tous
étaient frappés et, aussitôt, leurs maisons mises en
quarantaine. Sans doute était-on moins sévère
qu’à Lyon, où le chirurgien était suivi d’un
serrurier pour happer les
maisons des malades, et pour les déhaper et rehaper lorsqu’on
emmènera le malade. À Chaponost, où point
n’était question d’emmener les malades à
l’Hôtel-Dieu, le problème le plus urgent était de
trouver une personne de bonne volonté qui se vouât,
moyennant finances évidemment, au service des contagieux. Et
c’est là que le notaire entrait en scène pour un
contrat en bonne et due forme. Son écritoire en
bandoulière, maître Saunier se présente le jeudi
26 juillet 1629 au domicile de Michel Villecourt, qui vient
d’être atteint et suspect
de contagion. Mais il se garde
bien de pénétrer dans la maison, et reste sur le
chemin, cependant que le malade fait son apparition à une
fenêtre, pour assister, de loin, à la rédaction
du contrat par lequel il promet de payer, en deux fois, à
Noël et à Carême-prenant, une somme de 60 livres
à Guette Gendeyrat, veuve de Pierre Balme, pour le servir bien et fidellement, aussy ses
enfants, domestiques et tout son ménage, jusqu’à
Noël prochain. Plusieurs
témoins assistent à cet engagement : les frères
Jacques et Philibert Pélisson, et Benoist Villecourt,
lesquelles parties n’ont
touché sur le papier pour être suspects de mal
contagieux. D’autres cas semblables nous sont
parvenus. C’est une femme de Saint-Didier-au-Mont-d’Or, Jehanne
Pusion, qui se met au service d’Anthoine Comba, dict catra, et de sa
famille pendant qu’ils furent
atteints de maladie contagieuse. Le mal fit des ravages dans cette maison, et la
brave femme dut, tour à tour, enterrer cinq corps et nettoyer la maison et les
meubles y estant. Le tout pour
16 livres ; encore ne reçut-elle qu’à Noël 1632
les 11 livres et les 3 bichets de bled-seigle, mesure de Chaponost,
qui lui restaient dus. C’est encore Julienne Henry, de
Chaponost, qui reçoit, le 20 avril 1632 seulement, de Pierre
Poyte, 45 livres à elle promises pour servir feu Benoist Poyte, son frère,
pendant le temps qu’il fut atteint de contagion dont il
décedda, et pour l’aider à nettoyer les meubles du
défunt, en la maison du notaire royal soussigné,
où il était grangier. Le même Pierre Poyte avait
déjà payé 60 livres, le 14 avril 1630, à
Nicolas Montagnon, maître-maçon et charpentier de
Chaponost, pour avoir par le dit
Nicolas Montagnon et Claudine Montagnon, sa fille, servy le dit
Pierre Poyte pendant qu’il a été suspect de contagion,
nettoyé et reblanchi la maison d’iceluy Poyte, dans laquelle
son père, sa femme et enfants sont
décédés. Souvent, malgré la terreur du
mal, les voisins se viennent en aide, autant qu’ils le peuvent.
Ainsi, le 19 août 1629, Antoine Peyrachon, qui a survécu
à la maladie, donne 22 livres à Pierre Fayeton et
à ses enfants pour le
bien qu’ils lui ont fait et à sa famille pendant qu’ils ont
été malades de la contagion. Déjà, le 6 août, il avait
payé 11 livres 16 sols à l’hôtelier de Chaponost,
Étienne Reynier, pour
vin, pain et autres denrées à luy
délivrées et fournies pendant que le dit Perrachon et
sa famille ont été affligés du mal
pestilencieux. Charles Arthaud,
lui, avance de l’argent à plusieurs reprises (39 livres au
total) à Philippe Pélisson, pendant qu’il est
suspect de contagion.
Il n’est pas jusqu’aux citadins
qui essaient de soulager les pauvres malades : sieur Claude Garnier,
marchand bourgeois à Lyon, fait plusieurs fois le voyage de
Chaponost exprès pour apporter des médicaments,
hélas ! inutiles, à Marguerite Fayeton. Il est vrai
qu’il se fera rembourser 18 livres pour la peyne et vaccations et fournitures de
médicaments ; mais il
saura attendre six ans que le pauvre veuf soit solvable. Malgré tous ces
dévouements, le mal prend tellement d’extension que les
consuls doivent engager un ou deux hommes, spécialement
chargés d’enterrer les morts et de désinfecter les
maisons. Hospitalliers,
tel était leur nom
officiel ; mais, dans son langage imagé et pittoresque, le
paysan les appelait volontiers corbeaux. Le métier, s’il était bien
payé (60 livres), comportait des risques. Et Anthoine de la
Mure, qui, le 24 décembre 1628, recevait quatre livres pour
avoir enterré Augustine Comba, semble bien avoir
lui-même succombé peu de temps après. Car, le 27
janvier 1630, Pernette Chamarier, sa veuve, reçoit,
après procès, de Regnaud Morellon, receveur des tailles
en 1628, la somme de 16 livres
15 sols en escus d’Itallie et monnoie blanche, pour reste, fin et
entier payement des 60 livres dues pour le service fait par le dit La
Mure au lieu et paroisse de Chaponost, où il se fust
affermé pour hospitallier. Le 23 septembre 1629, c’est à
Jean Ramières, corbeau ou
hospitallier de Chaponost, que
Jean Ponsset paie 6 livres, pour
avoir nettoyé la maison où Claude Ponsset était
décédé du mal contagieux, sa femme et trois de
leurs enfants, et encore celle des héritiers feu Claude
Décombes où sa femme décéda.
En quoi consistait ce nettoyage ?
Essentiellement à parfumer les maisons et à les blanchir à la
chaux. Le 14 août 1629, les consuls s’adressent au Bureau de la
santé à Lyon et
requièrent leur vouloir octroyer un parfumeur pour faire
désinfecter les maisons infectées : et ils avancent eux-mêmes l’argent
nécessaire. Le 23 septembre, Nicolas Montagnon,
maître-maçon et charpentier de Chaponost, reçoit
24 livres tournois pour avoir
abondamment nettoyé et blanchi deux maisons avec chaux blanche
et colle, duquel compte 3 livres 15 sols sont pour parfung
achepté par deux diverses fois, en conséquence de
l’injonction à luy faicte par les consuls. Il ne semble pas que, à cette
époque, Chaponost ait possédé un médecin,
un chirurgien, comme on disait. Tout au plus savons-nous que
Jacques Pélisson fut pensé et servi, lui et sa famille,
pendant que sa maison fut affligée de contagion, par messire
Jacques Decorzelles de la Vallet, maître-chirurgien à
Lyon, et que celui-ci n’obtint
pas le supplément d’honoraires qu’il réclamait. Plus
heureux, ou plus puissant, honnête Claude Bodier,
maître-chirurgien de Brignais. N’arrivant pas à se faire
payer par l’hôtelier de Chaponost, Étienne
Régnier — dont le père, la mère et le
frère étaient morts malgré ses soins —,
maître Bodier lui intenta, auprès du juge de Chaponost,
un procès qu’il gagna. Et le 16 août 1634, à
Brignais, dans le logis
où pend pour enseigne la croix-blanche, Étienne Régnier paie 90 livres,
en déduction de plus
grande somme en laquelle il a esté condempné envers
maître Bodier pour avoir pensé et
médicamenté ses parents pendant qu’ils furent attaincts
de malladie contagieuse dont ils
décéddarent. Nous sommes mieux renseignés sur
les médecins qui composaient à Lyon le Bureau de la
santé, et qui veillaient sur l’hygiène de la ville
d’une façon très sévère [Registres du Bureau de la santé
(a[rchives] mun[icipales de] Lyon, GG 22). — NDLA.]. Commencée à Lyon le 25
juillet 1628, la contagion
y cessa plus vite que dans les
campagnes. Aussi durent-ils se prémunir contre les suspects de
contagion et interdire l’entrée de la ville aux villageois des
environs, et jusqu’à plus de cent kilomètres à
la ronde. Le 26 juillet 1629, le Bureau prenait l’ordonnance suivante
: " Les commissaires, ayant plu
à Dieu par sa bonté infinie retirer son fléau de
dessus cette ville par la cessation de la maladie contagieuse dont
elle a été affligée si extraordinairement, nous
avons contribué tout notre soin à faire parfumer et
désinfecter toutes les maisons, lieux et endroits qui avaient
été infectés du venin de la maladie, tellement
qu’à présent cette ville est nette et exempte de toute
infection, et toutes choses rétablies en si bon état
que nul ne fait difficulté de venir séjourner,
fréquenter et exercer toutes sortes d’affaires et commerces.
Mais nous avons eu plusieurs avis très certains que les
habitants des villages et lieux circonvoisins sont affligés de
la dite maladie, scavoir Sainte-Foy-lès-Lyon, Chaponost,
Socieu, Chazey, Charly, Dardilly, Anse, L’Arbresle, Pontcharra,
Tarare et Violey. " Et de protester parce qu’on les laisse
entrer sans exécuter les ordonnances, et qu’ils
prétendent venir d’ailleurs : " Ce qui est de très
dangereuse conséquence à raison de la conversation
qu’ils peuvent avoir avec ceux de cette ville. À quoy estant
besoin de pourvoir pour obvier que le mal qui nous vient de quitter
ne se glisse de nouveau et vienne à pulluler en cette ville,
ce qui serait retourner au déplorable estat de misère
dont nous ne faisons que de sortir : " Nous avons fait et faisons
défense à tous les habitants de quelque qualité
et condition qu’ils soient, des lieux et villages susnommés,
ainsi que de Montbrison, Feurs, Saint-Étienne-de-Furan,
Saint-Chamond, Rive-de-Gier, Le Puy, Thiers, Mascon, Villefranche,
Grenoble, Valence, Vienne, Colombier, Saint-Vallier, Tain, Tournon et
Viviers, de se présenter aux portes de cette ville, ny aux
chaisnes des embouschures de la rivière de Saône, du
boulevard Saint-Jean et d’Esnay, ny aux portes du Rosne, pour y
entrer, converser et fréquenter en quelque sorte que ce soit,
avec ou sans certificats, à peine d’être harquebusez et
punis comme infectieux publics. " Si elle calma la terreur des Lyonnais,
cette ordonnance sévère, qui interdisait tout commerce
avec Lyon, menaçait de peser lourdement sur les habitants de
Chaponost, et peut-être encore plus sur les bourgeois lyonnais,
qui vivaient avant tout des produits de leurs domaines campagnards
[" Cette ambition des
bourgeois de devenir propriétaires ruraux donnait à la
vie lyonnaise un aspect particulier ; ils vivaient avant tout des
produits de leurs domaines : farine, légumes, fourrages pour
les chevaux, huile, vin, bois, volaille et gibier suffisaient
à l’entretien de leur maison pour toute l’année. Aussi
se préoccupait-on spécialement de la facilité et
de la franchise des transports entre la campagne et la ville pendant
les mois d’automne… " (Kleinclausz, Histoire de Lyon, I, 490). – À plus forte raison, en temps
d’épidémie ! — NDLA.]. Aussi, dès le mardi 7 août,
monsieur Grollier, prieur de Saint-Irénée et seigneur
de Chaponost, se présentait-il au Bureau pour prier la compagnie vouloir lever l’interdit
faict aux habitants d’entrer en cette ville, ce qui fut fait, moyennant de sages
précautions : " A été
ordonné que sera fait un rôle des malades infects et
suspects, et des quarantains étant au lieu dit, et des maisons
qui auront été parfumées, lequel rôle sera
signé par les sieurs Terrier et Meynin, lesquels feront
résidence actuelle à Chaponost, et sera le dit
rôle baillé et apporté au Bureau de huit jours en
huit jours, et moyennant ce, permis aux habitants de Chaponost
d’entrer en cette ville, et y apporter, vendre leurs denrées
avec certificats signés des susnommés ou l’un d’eux,
qu’ils ne sont malades, infectz, ni suspects, ni leurs denrées
en les maisons demeurant parfumées, le tout jusqu’à ce
qu’autrement soit ordonné, à peine où il s’en
trouverait aucuns entrés en cette ville sans certificat,
d’être harquebusés, et de l’amende de 50 livres, pour
laquelle les contrevenants seront exécutés en leurs
biens, et applicable le tiers au dénonciateur, autre tiers aux
nécessités de la santé de cette ville. Et sera
publié au prône de l’église à ce que nul
n’en prétende cause d’ignorance. " Ainsi fut fait, et, dès le mardi
suivant, nous voyons Terrier et Meynin présenter à Lyon
le rôle des malades depuis
peu et celui des maisons infestées, et réclamer un parfumeur. Le 21
août, ils signalent une nouvelle maison, et reviennent encore
le 28. Plus rien ensuite avant le 25 septembre, peut-être parce
que, à Lyon, le mal s’est
repris dans quelques maisons. Dès le 23 août, le Bureau de
santé signale que les gens sont malades de fièvres
malignes pour avoir mangé de mauvais fruits, ou pour
s’être baignés en la rivière. Comme
le mal pourrait se convertir en
venin de contagion, et pour ne retomber dans nos misères
passées, après en avoir mûrement
délibéré et pris l’avis du sieur Marcellin,
docteur médecin, l’un de nous, les commissaires interdisent formellement
de laisser entrer à Lyon
aucun concombre, chous cabus, raisins, melons, pesches, alberges,
champaignons et potirons. Et si
quelqu’un se baigne désormais dans la rivière, il
encourra la peine du fouet. On redouble de précautions aux
portes de la ville contre les faux certificats, on interdit
de louer, sous-louer, relouer
aux gens du dehors ; on
défend à ceux de la ville d’aller aux vendanges au
dehors. Enfin, l’on multiplie les processions : le 29 août, ce
sont les pénitents blancs qui vont des Cordeliers aux Minimes
; le dimanche 9 septembre surtout, c’est une procession
générale pour la santé publique, avec
présence de monsieur d’Halincourt, de tous les corps de la
ville, et une grande affluence de peuple. Il ne semble pas que
l’épidémie ait duré beaucoup plus longtemps.
Terrier et Meynin viennent encore présenter le rôle des
maisons contaminées les 13 et 30 octobre suivants ; ils en
profitent pour prier les commissaires de les remplacer par Antoine
Reynier, notaire royal, et Jean Morellon. Enfin, le 5 décembre 1629, les
médecins de Lyon publient un manifeste de santé qui met
un terme au cauchemar vécu depuis dix-huit mois. Chanoine Joseph
Jomand. Archiviste
diocésain. Chaponost en Lyonnais,
chapitre IX, in
La gazette de
l'île Barbe
n° 54 Automne
2003
éditions Emmanuel Vitte,
Lyon, 1er trimestre 1966.