Périple en Amérique du Sud

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6. La fin du voyage

[Mardi 29 juillet 2003.]

Bonjour à toutes et à tous !

Il y a onze jours, de retour de notre tentative d’ascension du Cotopaxi, nous avons appris que notre billet Caracas-Paris, du 30 juillet, avait enfin pu être changé en un Quito-Paris… pour le 21 juillet ! Cependant, notre voyage ne prend fin que fin juillet et cette grande expérience personnelle mérite bien un dernier compte rendu. Nous allons vous conter brièvement ces quinze derniers jours en Équateur, en compagnie de Jérôme. Son passage aura été bref mais intense (comme celui de Sophie !), avec notamment un trek (dur, dur !) de cinq jours, suivi de la tentative d’ascension du Cotopaxi. Ensuite, nous jetterons quelques impressions sur ces cinq mois fantastiques. Cette envie de témoigner « à vif » n’est pas évidente à réaliser, soyez indulgents. Enfin, les lecteurs assidus que vous êtes (…) méritent bien d’apprendre pourquoi nous sommes heureux de rentrer.

[Quinze jours en Équateur]

Le trajet Cusco-Cuenca (Pérou-Équateur) est long. Cinquante-huit heures de bus. Heureusement, la route est bonne, asphaltée et non bordée de précipices. Nous avons réalisé une pause de quelques heures à Lima, le temps de faire quelques courses et de prendre un dernier pot avec Sophie, qui prenait son avion le lendemain. Ces visites au cours de notre voyage nous auront toutes fort marqués. Nous sommes touchés par les investissements réalisés pour venir nous voir (en temps, en argent, en patience aussi !). Nous sommes heureux d’avoir partagé une partie de notre expérience, et notamment certains treks. Merci à tous nos visiteurs pour ces discussions riches, ces critiques et ces encouragements !

La traversée de la frontière s’est passée sans problème majeur, à l’exception de deux Équatoriens qui ont, en vain, tenté de nous soutirer des dollars grâce à leur prétendue connaissance — « dont nous n’aurions pu nous passer » — de cette ville-frontière. Auparavant, nous avions rallié cette ville à deux sur le siège avant d’une voiture-taxi dont notre porte ne fermait pas : le conducteur nous avait indiqué une petite barre de fer à laquelle nous devions nous tenir durant ces 350 kilomètres ! Quelque vingt-huit heures après avoir quitté Lima, nous tournions en vain dans la ville de Machala (« capitale mondiale de la banane ») pour trouver un restaurant ouvert. C’était notre première soirée dans ce pays, où il est bien difficile, même dans la capitale, de trouver un restaurant ouvert après 20 heures (à moins de se promener dans les quartiers « gringos’ land » [quartiers étrangers. — NDLR.]).

Cuenca est une belle ville. Rafael, un ami d’amis, nous a accueillis royalement dans son appartement et nous a fait visiter pendant deux jours sa ville. L’une des attractions majeures de la ville est sa fabrique de chapeaux : les « chapeaux de Panama » viennent bien de Cuenca, leur dénomination venant du fait que les ouvriers construisant le canal de Panama portaient tous ce couvre-chef, dont les prix défient l’imagination de nos jours ! Heureusement, les ventes à l’usine sont abordables.

[Marche d’approche]

Au moment de faire notre programme, Jérôme nous a vite convaincus de sa motivation pour tenter le Cotopaxi. Notre guide de treks nous décrivait un trek de cinq jours, pas trop dur, idéal pour s’acclimater et qui mène au pied du volcan. Avant de rejoindre le point de départ du « trek del Cóndor » [randonnée du Condor. — NDLR.], nous passons une soirée à Latacunga, une ville située à 60 kilomètres du Cotopaxi. Nous négocions la présence d’un guide au refuge pour le jeudi suivant, après avoir testé son équipement. Le soir, nous retrouvons trois amis, anciens raideurs, de la génération suivante : le contact n’est pas perdu et nous échangeons gaiement nos parcours autour d’un poulet à la broche.

Le trek débute le lendemain, sous des trombes d’eau. Le terrain, annoncé « boueux » dans le guide, est un véritable bourbier. À un moment, Jérôme s’enfonce jusqu’à mi-cuisse et a la présence d’esprit de se jeter en avant pour ne pas prolonger ce bain de boue. En plus de ralentir notre progression, ces conditions nous font perdre notre orientation. Il faut dire que les informations données par le guide sont bien maigres. Entre deux nuages, nous apercevons une maison. C’est décidé, nous allons y demander notre chemin. Il nous faudra plus d’une heure pour parcourir le kilomètre qui nous sépare de cette bergerie… vide. Le porche est bien agréable et après une rapide concertation, nous décidons de planter la tente dessous. Nous verrons de quoi demain sera fait. L’enthousiasme et la gaieté de Jérôme nous auront bien aidés pour cette journée difficile !

Le lendemain, le ciel est plus clément, malgré une averse de neige pendant le petit déjeuner. Après avoir quitté notre abri, nous sommes rapidement rejoints par un fermier qui nous indique le chemin. Nous avions fort peu avancé la veille, la journée va être longue pour rattraper le temps perdu. Nous marchons jusqu’à la nuit tombée, alors qu’un épais brouillard nous enveloppe. Au petit matin, nous découvrons avec émerveillement le massif imposant du volcan Antisana, qui domine notre campement. Ce matin-là, une scène très belle s’offre à nous, nous révélant une fois de plus, si besoin en était, pourquoi le trek nous charme autant et ce qui fait la magie de ces journées sauvages. Nous venions de quitter l’emplacement de notre camp, sac au dos, sous un ciel magnifique et dégagé, au pied du volcan enneigé, et nous longions un petit lac d’altitude (4 350 mètres) lorsque nous avons aperçu une demi-douzaine de chevaux sauvages, galopant de l’autre côté du lac et parcourant le plateau, crinière au vent. Il n’y aura pas de photo de ce spectacle magnifique, seulement une nouvelle image de la liberté…

La suite du trek s’est avérée fatigante, « loin du sentier promis », et plus d’une fois Arthur a pesté contre la description du guide qui annonçait un bon chemin. Nous avons traversé tous les terrains : la boue, les marais, les champs incendiés, des rivières sortant de leur lit, des ravins, où Arthur a choisi la solution rapide : une chute de cinq mètres heureusement amortie par son sac et les cendres…

[Ascension du Cotopaxi]

Au milieu du cinquième jour, cependant, nous sommes bien au pied du Cotopaxi, mille mètres au-dessous de son refuge, situé à 4 800 mètres. Une voiture montant des Français fort sympathiques nous prend en stop. Quel bonheur ! Le refuge est très confortable et nous avons accès libre à la cuisine (contrairement aux centaines de touristes qui ne font que passer quelques heures au refuge). Cela est bien agréable pour passer la journée de repos du lendemain. Pour l’instant, la plupart des cordées « sérieuses » ont réussi le sommet, le moral est haut malgré la fatigue du trek.

Le guide arrive enfin et après un dîner léger, nous allons nous coucher pour une courte nuit : lever à minuit. Le vent souffle fort, mais il ne fait pas trop froid. Nous atteignons le glacier en un temps correct et commençons alors la marche au milieu des crevasses. Le vent souffle très fort. Dans les passages les plus exposés au vent et les plus raides, nous marchons à quatre pattes. À 6 heures du matin, la décision est prise de faire demi-tour ; nous sommes à moins de deux cents mètres du sommet (qui se trouve à 5 897 mètres), en pleine forme… C’est un peu tristes que nous entamons la descente, alors que le soleil se lève. Heureusement, celle-ci nous offre un spectacle magnifique. La lumière de l’aube est belle, entre les nuages qui défilent très vite, et les crevasses apparaissent de toute leur splendeur : de vraies cathédrales ! Cette nuit-là, personne n’a atteind le sommet, excepté un champion espagnol d’alpinisme et de descentes en surf. Il a attendu quarante-cinq minutes sous le sommet et a laissé son surf et son sac pour atteindre le bord du cratère.

Alors que nous allions quitter le refuge pour rejoindre le parking, une des personnes ayant comme nous tenté le sommet dans la nuit se met à trembler puis perd connaissance. Elle présente des symptômes d’un œdème pulmonaire dû au mal des montagnes. Elle est descendue très rapidement sur un brancard jusqu’à une voiture (le parking est situé deux cents mètres sous le refuge), qui la descend immédiatement au pied du volcan. Une ambulance vient à la rencontre de la voiture, elle est sauvée ! Si cette crise s’était déclenchée avant qu’elle ne rejoigne le refuge, la descente aurait été nettement plus délicate.

Le soir même, nous étions dans un bel hôtel, au centre du vieux Quito. Après tout, ce vendredi soir devait être notre avant-avant-dernière soirée sur le continent ! Dans ce pays, les habitants dînent tôt ou pas du tout. À 20 heures, le centre est vide, les restaurants fermés, à l’exception toutefois de certains très chics. Ce fut notre choix ce soir-là où nous avions à fêter notre trek ainsi que l’ascension du Cotopaxi.

[Détour forcé par le Venezuela]

Samedi matin, nous sommes partis pour Otavalo : le plus grand marché d’artisanat d’Amérique latine. Nous y avons, comme il se doit, acheté quelques hamacs, vêtements et autres souvenirs. Gwen, championne toute catégorie de la négociation, obtient la plupart de ses achats à moitié prix, et avec le sourire !

Dimanche, nous avons laissé Jérôme à l’aéroport, et nous avons tenté de changer nos billets d’avion. Depuis le mois de mars, en accord avec Total, nous avions décidé de ne pas aller au Venezuela. Nous avions donc demandé à notre agence de voyage de changer notre retour Caracas-Paris pour obtenir un Quito-Paris. Iberia avait assuré à notre agence que cela se ferait sans problème. Le vendredi, jour de notre dernière ascension, deux places avaient enfin pu être débloquées pour le lundi suivant. Notre voyage allait se terminer plus tôt que prévu, mais finalement, nous n’en étions pas mécontents. Nous sentions une certaine fatigue après ces mois si remplis en Amérique du Sud et puis la possibilité de revoir plus tôt famille et amis nous enchantait. En clair, nous étions dans une optique de retour. Et lors de notre remontée sur Quito, après le Cotopaxi, nous avons donné à des femmes, ravies, tout ce que nous ne voulions pas rapporter en France : nourriture, tapis de sol, gamelles… Quelle ne fut donc pas notre déception lorsque Iberia nous a froidement annoncé que la réservation pour le lendemain n’était pas valable ! Pendant trois jours, nous avons passé nos après-midi à l’aéroport, en espérant que nos premières places sur la liste d’attente nous feraient embarquer… en vain. Nous avons donc dû nous résoudre à prendre l’avion pour Caracas (le bus passe par la Colombie, nous avons préféré l’éviter…) pour utiliser les seuls billets valables en notre possession.

Il n’est pas facile d’abandonner, même momentanément, l’idée du retour, du confort retrouvé, de la chaleur des retrouvailles en vue… Mais ces regrets sont loin, nous sommes à nouveau lancés dans une nouvelle aventure : la plage vénézuélienne à quelques heures de Caracas. Nous venons de passer trois jours à ne rien faire que lire sur une plage et discuter de ce voyage assez extraordinaire. Une librairie « internationale » de Quito nous aura bien fournis. C’est un plaisir de retrouver la lecture ! Pour ces derniers jours, nous avons en effet accepté d’alourdir nos sacs de quelques œuvres : Dumas, Lapierre et Collins, Dostoïevski, et Spinoza et son Éthique, qui ne peuvent manquer de séduire des scientifiques en quête de raisonnements sur Dieu, les hommes et leur esprit !

Nous nous envolons demain pour la France et devrions atterrir à Orly vers 18 heures, jeudi 31 juillet. Carotte, nous t’attendons !

[Heureux retour après cinq mois extraordinaires]

Ces cinq mois et demi passés sur le continent auront été très riches. Les lettres d’information et les articles parus ou à paraître dans le Journal des Grandes Écoles ou dans Grandes Écoles Magazine (des éditions des Cassines) nous auront donné l’opportunité de témoigner et de réfléchir sur notre expérience.

Aujourd’hui, ce vieux rêve est devenu réalité et il nous paraît important d’essayer d’en tirer des enseignements, dans l’espoir que nous puissions y puiser une joie de vivre et des idéaux de vie. Nous avons été fort marqués par les contrastes de vie de ce continent et bien sûr par les avantages fabuleux que nous procurent notre nationalité et surtout notre éducation. Ce voyage nous aura révélé à quel point nous sommes libres et indépendants. Pour peu que nous sachions définir nos priorités, il nous apparaît relativement facile de changer d’existence pour assouvir un rêve. Ce n’est pas le cas de millions de paysans, d’ouvriers ou de mineurs d’Amérique latine, qui doivent aligner les heures, les jours et les années de labeur pour faire vivre leur famille. Cette liberté s’accompagne selon nous de devoirs. Le plus fondamental nous paraît être celui de faciliter l’accès à l’éducation, source de liberté.

Ce voyage nous aura aussi fait prendre conscience d’une chance extraordinaire dont nous jouissons… et de l’importance de se battre pour qu’elle survive. Il s’agit de la sécurité en général dans laquelle nous baignons. Bien que nous ayons pris soin d’éviter les quartiers dangereux des villes traversées, le simple fait de voyager en bus, lot des millions d’habitants de Bolivie et du Pérou, expose à des risques très importants, dont on ne retire rien d’autre que des sueurs dans le dos. Le manque de sécurité ne se limite pas aux agressions et aux transports publics, ainsi, la corruption, l’insécurité bancaire (que les Argentins ont durement éprouvée l’an dernier), les catastrophes naturelles sont autant de difficultés affrontées par les habitants de ce continent.

Enfin, notre façon de voyager, à savoir réaliser des treks dans des coins reculés de ces magnifiques pays, nous aura largement ouvert l’esprit sur une autre façon de découvrir le monde. Ces marches fatigantes sont ressourçantes et ramènent au premier plan les préoccupations fondamentales de l’homme : marcher, discuter, manger, dresser son camp et dormir !

Comme promis, mous allons vous révéler pourquoi ce retour nous réjouit. Eh bien, voyager est l’une des meilleures façons de se rendre compte que nous habitons un pays magnifique ! La diversité de ses paysages n’a rien à envier à des pays aussi grands et variés que l’Argentine. De plus, le confort lié au développement de notre pays sera sûrement bien plus appréciable après avoir passé des mois sans pouvoir profiter d’une douche digne de ce nom, à de rares exceptions près.

Bien sûr, nous sommes ravis de retrouver familles et amis, avec qui la distance — et l’internet ! — auront parfois créé des liens encore plus forts.

À plus long terme, l’année à venir s’annonce très riche en découvertes et en joies. Notre dernière année d’études d’ingénieurs concrétisera cinq années de travail sous la forme notamment de la recherche d’un stage de fin d’étude. Ce point est nettement plus important pour Arthur que pour Gwen… Et puis, bien sûr… la préparation de notre mariage ! Celle-ci sera l’occasion d’approfondir nos visions communes concernant la famille, le travail, la vraie dimension d’un foyer chaleureux et accueillant…

Avant de clore cette dernière lettre d’information, il nous reste à vous donner rendez-vous dans le prochain hors-série de Grandes Écoles Magazine consacré à l’aventure, à paraître en octobre prochain, sur le site de Total pour la suite de nos interviews et quelques photos, et enfin à l’École centrale, en octobre sans doute, où nous organiserons une rencontre sur notre voyage. Nous vous lancerons une invitation quand la date sera fixée !

À bientôt ! Bon vent !

Gwen[doline Caurier] et Arthur [Darde].

Gcaurier@hotmail.com et arthur@darde.org.

In La gazette de l'île Barbe n° 57

été 2004

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