Au moment où ces quelques lignes
sont couchées sur le papier (le 15 septembre 2004), nous
ignorons quel sera le dénouement de cette cruelle aventure.
Nous sommes totalement solidaires de la souffrance de nos
compatriotes emprisonnés injustement et de l'angoisse de leurs
proches ; ils sont constamment dans nos cœurs quand nous nous
adressons à Dieu dans la prière. Mais les islamistes qui ont
capturé nos deux journalistes français et leur
chauffeur ont obtenu un résultat diamétralement
opposé à celui qu'ils cherchaient. Ils méprisent notre
démocratie, ils voulaient la mettre à genoux, en jouant
sur notre peur de la mort ; ils prétendaient dicter leur loi
à notre pays, de l'extérieur. La France s'est
montrée, grâce à ses responsables, une grande
nation qui ne plie pas sous le chantage ! Ils voulaient venir au secours des
musulmans de France, qui, à leurs yeux, sont martyrisés
comme ils persécutent les chrétiens qu'ils rencontrent
sur leur route. Bien au contraire, ils ont fait prendre conscience
aux musulmans de France qu'ils étaient intégrés
dans un pays de liberté où ils sont respectés
dans leur vie humaine et dans leurs convictions religieuses. Toutes
les communautés musulmanes ont manifesté leur
solidarité avec les journalistes et leurs familles. Même
ceux qui n'étaient pas d'accord avec la loi sur le voile ont
refusé d'utiliser cette opportunité pour
défendre leur point de vue. Et une délégation du
culte musulman a fait le déplacement jusqu'à Bagdad
pour défendre la laïcité à la
française. Ils voulaient susciter une guerre
scolaire, à propos de cette tenue vestimentaire ; leur
méfait est tombé à point nommé, juste au
moment de la rentrée. Alors qu'on craignait un
démarrage de l'école difficile à cause de la
première application de cette loi, jamais une rentrée
scolaire n'a été plus " cool " [calme. - NDLR.] sur ce problème. Suite à cette
prise d'otages, les musulmans les plus radicaux de France, qui
étaient prêts à porter le scandale, se sont fait
" tout petits ". Ils voulaient ranger la France dans le
camp des pays occidentaux qui font front commun dans une guerre
contre l'islam, dans un choc des cultures. Ils ont donné
l'occasion à la France de montrer, avec éclat, qu'elle
se range parmi les amis des pays musulmans : l'accueil qu'a
reçu notre ministre des Affaires étrangères,
Michel Barnier, est sans équivoque. Ils voulaient mettre la panique dans la
classe politique française. Ils ont donné l'occasion
à nos dirigeants de se serrer les coudes, et d'oublier leurs
luttes politiciennes pour faire un front commun face à un tel
coup dur : nos amis les Italiens ont décidé de prendre
modèle sur nos réactions françaises. Ils ne jurent que par la
férocité. Ils ont permis à la France de
souligner que la diplomatie et le dialogue est plus efficace que la
force brutale, qui conduit toujours à une impasse… Nous, les chrétiens, nous misons
notre vie sur la mort et sur la résurrection du Christ ; ce
n'est pas rien ! Cette aventure particulièrement douloureuse
n'est-elle pas le signe que cet événement central de
l'humanité vécu par Jésus est à l'œuvre
dans notre quotidien ? Pour nous, la souffrance et la mort n'ont
jamais le dernier mot, puisque la mort du Christ débouche sur
la résurrection. - La souffrance est bien réelle
dans notre humanité en guerre : elle est celle des deux
journalistes français et de leurs familles, mais aussi la
nôtre parce qu'ils sont nos concitoyens ; nous vivons, alors,
la passion et la mort du Christ. - Mais notre horizon n'est pas
bouché par un tel drame, comme celui de Jésus ne s'est
pas limité à la croix ; il porte en lui un avenir
meilleur : pour la première fois dans notre histoire
récente, les musulmans de France dans leur ensemble se
montrent solidaires des Français qui ne partagent pas leurs
convictions religieuses ; le drame de nos journalistes fait reculer
l'intolérance dans notre pays. Nous vivons, dans ce contexte,
une forme de résurrection. Quelques mois avant de convoquer le
concile Vatican II, Jean XXIII demandait aux chrétiens de
chercher " les signes des temps " : les signes de la présence
aimante et concrète de Dieu dans notre monde. Cette histoire,
à multiples facettes, que nous sommes en train de vivre, n'en
fait-elle pas partie ? Ne sommes-nous pas appelés,
nous, les chrétiens, même au cœur des
événements les plus difficiles, à nous tourner
vers l'avenir pleins d'espérance ? Jacques
LEPERCQ. In journal paroissial de
Villeurbanne.
in
La gazette de
l'île Barbe
n° 59, hiver 2004