Gérald Faucher

1929 - 2005

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Papa,

Vous voici arrivé au terme de votre vie terrestre. Qu'elle a été riche de bonheur et de joie, et parfois, aussi, de peine !

Laurent-Bouillet : ce nom d'entreprise a marqué toute notre jeunesse. Après avoir participé, avec fierté, à la construction du barrage de Bort-les-Orgues, dans votre si chère Corrèze, vous êtes entré chez Laurent-Bouillet. Vous y avez passé toute votre vie professionnelle et, à force de travail, vous y avez gravi tous les échelons, pour finir à la tête de la direction auvergnate.

Parallèlement à cette vie professionnelle exemplaire, vous avez construit votre vie privée, avec maman, qui vous a donné trois enfants et qui vous a consacré sa vie entière pendant plus de cinquante ans. Nous avons le souvenir d'une éducation sévère, et en même temps, d'une jeunesse heureuse, sans soucis, protégés par des parents attentionnés.

Les souvenirs nous assaillent : les week-ends à Saint-Saturnin, le camping sur votre terrain en Vendée, les vacances au ski, alors que vous détestiez la neige, le son et lumière à Saint-Saturnin ou bien encore les samedis de voile au lac d'Aydat.

Papa, vous n'êtes pas un homme de ce siècle, si même du précédent. Vous n'êtes pas adepte de cette société de communication. Vous préférez l'écrit à l'oral, le silence à la parole. Alors, nous avons eu parfois de la peine à communiquer, à échanger, tout simplement à extérioriser l'amour qui nous unissait. Dans votre éducation, cela ne se faisait pas de montrer ses sentiments ou ses faiblesses.

Mais, par votre manière de vivre et d'agir, nous avons compris le sens que vous donniez à votre vie et donc le sens que vous vouliez que l'on donne à la nôtre. Vous nous avez appris ce qui doit être l'essence même de l'homme, ce qui doit le diriger :

Tout d'abord, l'attachement aux racines familiales

Vous avez cultivé l'image de votre père et vous avez continué son travail de généalogie. Vous avez porté une grande attention au confort de votre famille, soucieux que vous étiez de son avenir.

Vous avez développé avec maman une complicité et des rapports de tendresse qui nous ont émus et qui vous ont sûrement aidé ces dernières années, alors que votre corps vous faisait tant de misères.

Ah, que vous étiez fiers de vos neuf petits-enfants ! Que vous aimiez les emmener à la messe ici même [… Saint-Saturnin. - NDLR.], certes pour entretenir leur foi, mais aussi pour les montrer à vos amis de la paroisse ! Vous avez ainsi développé avec certains d'entre eux des relations privilégiées fondées, pour les plus éloignés, sur des échanges épistolaires - surtout pas de téléphone - et, pour les plus proches, en leur faisant faire, toutes les semaines, leurs devoirs.

Vous avez ancré notre famille dans ce beau village de Saint-Saturnin. Vous y avez acheté une maison, l'avez rénovée de fond en comble, souvent de vos propres mains. À Saint-Saturnin, vous avez développé une vie sociale, en participant activement au son et lumière et aux soirées théâtrales, et vous avez ainsi noué des amitiés extrêmement fortes.

Ensuite, vous nous avez enseigné le courage, la volonté

Vous avez été dur, ou plutôt sévère, avec votre entourage, comme vous l'étiez avec vous-même, parce que vous n'acceptiez pas la médiocrité, ni l'absence de caractère. Votre entourage professionnel et personnel, et ces dernières années le corps médical, ont souvent loué votre volonté de fer ; c'est un bel exemple à suivre pour nous, dans nos petits moments de découragement ou de faiblesse.

Troisième précepte : la supériorité du spirituel sur le matériel

Vous n'étiez pas intéressé par l'argent. L'argent, pour vous, n'était pas une fin en soi, mais seulement un mal nécessaire pour assurer à vos proches et à vous-même une vie matérielle honnête.

Vous étiez tout entier tourné vers l'acquisition de connaissances. Ainsi, vous étiez porteur d'une culture immense, en développant un goût immodéré pour les mots, l'histoire, la littérature, la poésie et le théâtre.

Cet océan de culture nous a subjugués et, souvent, il a donné à vos enfants et petits-enfants le goût du savoir et de la lecture.

Enfin, vous nous avez appris la foi,
ce que l'on peut appeler
la croyance en la vie après la mort

Votre foi vous a permis de partir dans la sérénité avec le sens du devoir accompli.

Je voudrais rappeler votre travail sur les croix dans nos contrées, que vous avez présenté au public, il y a quelques années, à Saint-Saturnin. Cela a été pour vous une démarche, à la fois, du corps (avec de longues marches de repérage) et de l'esprit.

Papa, vous pouvez reposer en paix et rejoindre votre cher disparu, celui dont vous nous parliez ces derniers jours, celui que vous avez perdu à l'âge de 16 ans, Jean Faucher, votre père. Papa, depuis mercredi soir, nous comprenons la douleur qui a dû être la vôtre face à cette absence, et en ce week-end de Pâques, nous comprenons la joie qui doit être la vôtre à l'idée de le retrouver.

Papa, merci et au revoir.

µ

Il y a peu, papa a recopié sur un petit carton un poème d'Alfred de Vigny, La Mort du loup. En voici un extrait, dans lequel je crois retrouver papa. Le chasseur, venant de tuer le loup, et ému par son courage, parle :

 

  
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
 
À voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur !
Il disait : "Si tu peux, fais que ton âme arrive,
À force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de Stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
 
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
- Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, Souffre et meurs sans parler."

 

in La gazette de l'île Barbe n° 60, printemps 2005

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