Journal de Delphine Rivet-Bravais

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Le docteur Louis-François Bravais (1801 - 1843), marié en 1834 avec Constance Odoard (1811 - 1863), en eut trois enfants :

 

Marie Goybet (4 novembre 1836 - 9 août 1913)

[Août 1913.]

Ma bonne sœur est morte le samedi 9 août. La pauvre femme était devenue complètement infirme, elle ne pouvait plus faire un pas. Il fallait se mettre trois personnes pour la lever ou [pour la] coucher. Hélas ! ses facultés intellectuelles baissaient aussi. C'était pour moi un crève-cœur, lorsque j'allais la voir, de le constater. Elle reconnaissait les membres de sa famille mais elle parlait fort peu et souvent à contresens. C'était bien douloureux pour ses filles. Malgré cela, Luisa désirait ardemment la conserver. Elle la soignait avec un dévouement admirable et une tendresse maternelle. Marie l'appelait quelquefois maman. Au mois de juin, on l'emmena en automobile à Yenne. Elle y paraissait assez contente et on espérait quelques améliorations dans son état lorsque, le mardi 29 juillet, elle prit la fièvre sans motif apparent ! Le jeune docteur M. Blondel se montra de suite fort inquiet. Il prodigua à la malade les soins les plus dévoués. Par moment elle avait sa connaissance, à d'autres elle paraissait inconsciente. Sa dernière parole fut : "suis bien contente." On pensa que c'était de mourir.

Le dimanche 3 août, elle fut administrée, puis la maladie se prolongea ; le vendredi 8 août, elle entra en agonie. Le samedi, vers 5 heures, ses yeux se rouvrirent et prirent une expression de bonheur, d'extase, comme si elle entrevoyait le Ciel. Cela dura environ trois quarts d'heure, puis elle s'éteignit doucement, mais cette sorte d'extase reste gravée dans le cœur de ses enfants, qui presque tous étaient auprès d'elle.

Prévenus de la maladie et de l'agonie, nous avions pris quelques mesures pour le deuil. Le dimanche 10 août à 2 heures, nous recevions la nouvelle du décès, et Théodore descendait aussitôt à Lyon pour le télégraphier à Emmanuel à Rethel, à Auguste à Lalouvesc, puis j'écrivais à Louis et à Gabrielle. Les Létang ne pouvaient arriver à temps de leur lointain Roseland mais Auguste et Emmanuel sont venus le mardi pour les obsèques. Théodore et moi sommes partis le lundi à midi. Je n'ai pas eu la consolation de revoir cette sœur aimée : elle était déjà dans la bière. Nous avons trouvé tous ses enfants bien affligés, surtout Luisa, qui espérait continuer encore son œuvre de tendre dévouement. Pour moi, c'est un chagrin d'avoir perdu ma sœur, mais je reconnais que Dieu a été miséricordieux en abrégeant une vie de souffrances physiques et morales avec des infirmités croissantes. Luisa elle-même me dit : "'est de ma part de l'égoïsme de la pleurer, car elle était malheureuse et doit être mieux maintenant."

Le jour de notre arrivée, il faisait beau ; le lendemain, la pluie n'a cessé de tomber à verse ; c'est sous un déluge que nous sommes allés au cimetière. Je plaignais surtout les prêtres avec leurs ornements, les officiers avec leurs uniformes. Les uns et les autres étaient nombreux. Il y avait beaucoup de monde. Victor Goybet, à peine guéri d'un terrible accident de cheval, était là avec sa fille, Mariano et son fils, cinq Jaillard, quatre Henry Goybet, les deux fils de Luisa, Gonzague arrivant de Boulogne, Victor Bravais, Pierre, Max et sa femme, le père et le capitaine Boissonnet. Au retour, il y avait, comme pour Jules, un déjeuner à la maison, un autre à l'hôtel, mais malgré la tristesse de cette mort, on n'éprouvait pas ce sentiment si poignant de la pauvre femme qui était étendue dans son lit, et malgré le mouvement, restait inconsciente de la mort de son mari. Le retour a été long. Partis en auto à deux heures ou deux heures et demie, nous rentrions ici seulement à neuf heures un quart, bien las.

 

 

À suivre…

 

 

Mme Théodore RIVET, née Delphine BRAVAIS.

 

 

Journal.

 

in La gazette de l'île Barbe n° 61, été 2005

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