André Jaillard (1929 – 2006)

Merci à La Gazette de faire revivre André au moment de ce premier anniversaire de son départ vers la vraie vie — vie qui doit être « fantastique », comme le dit l’abbé Pierre !

André est né le 16 mars 1929 à Lyon Ier. Il a fait ses études chez les jésuites et chez les maristes, puis à l’École catholique d’arts et métiers (ECAM), promotion 1952. Il est entré en 1956 à la société routière Colas, où il a fait toute sa carrière d’ingénieur, d’abord à Dijon en 1956, puis à Tulle en 1961, à Montluçon en 1966, à Bordeaux en 1978 et à Lyon en 1983. Il a pris sa retraite en 1985, à 56 ans et 3 mois… à l’île Barbe, qu’il aimait tant, cette maison familiale si riche en souvenirs de famille.

André a toujours été d’un caractère heureux, simple, droit, et avait plaisir à rencontrer les autres et à s’intéresser à leurs activités. C’était un homme de contact et il avait toujours un regard positif sur « l’autre », ce qui est si rare !…

Il était un modèle pour nos trois filles et nos cinq petits-enfants, car il était toujours à leur écoute et si heureux de les avoir près de lui !

En plus de sa famille, il s’est beaucoup occupé de la paroisse de Saint-Rambert — tout comme son père. Il a été longtemps responsable de l’association immobilière paroissiale, et président de l’association des copropriétaires de l’île Barbe.

Il aimait la marche en montagne, le bridge, la musique. Il aimait aussi les voyages, savait les organiser, et nous a fait découvrir, sacs au dos et avec la tente, de nombreux pays. Il est allé marcher deux fois dans le désert avec des amis et a rencontré Théodore Monod sur la route du sel.

Puis il y a eu la maladie… cette maladie de Parkinson, qui, petit à petit, insidieusement, s’est installée puis l’a terrassé en quelques années, jusqu’à ce samedi 18 mars 2006. La messe d’à-Dieu a eu lieu le jeudi 23 mars à 9 h 45 à Saint-Rambert, sa paroisse, et a été célébrée par le père Max Bobichon, ancien curé de Notre-Dame-Saint-Vincent. Il repose maintenant au cimetière de Loyasse auprès de ses grands-parents, son frère Joseph et de nombreux cousins. Il est en paix dans la lumière de Dieu, maintenant, avec toute sa famille du Ciel, et c’est bien, mais il nous manque tellement !…

Chantal Jaillard.

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Toute ma fraternelle affection

André,

Je t’ai connu bien avant que Pierre, ton frère aîné, n’entre dans ma vie. Tu étais, avec Michel, un bon camarade scout de mon frère Philippe, disparu accidentellement il y a quelque vingt ans… et cela nous avait donné bien des occasions de nous rencontrer.

Te souviens-tu, par exemple, des parties endiablées de Monopoly chez Philippe et Jacques d’Arras, où un Maurice Aguettant déjà très « homme d’affaires » raflait sans pudeur la rue de la Paix, l’avenue des Champs-Élysées, la rue de Rivoli, ne nous laissant que le choix de la rue Lecourbe ou du boulevard de Belleville ?! Tu le regardais d’un œil amusé — il était si passionné par le jeu ! — et, devant notre caisse inéluctablement vide et sans états d’âme, nous attendions la fin de la partie en faisant la causette !

Te souviens-tu de cette grande soirée à l’île Barbe où j’ai rencontré Pierre pour la première fois, un certain soir d’octobre, soirée très réussie, où j’ai le souvenir de m’être beaucoup amusée avec tous les amis de l’époque et ceux (toi, par exemple) qui sont devenus, sans que je le sache encore, mes beaux-frères ? Mais voilà, c’est ce soir-là que le destin de ma vie s’est mis en marche…

Au moment de nos fiançailles, vous partagiez la même chambre, Pierre et toi, quai Saint-Vincent, et tu me disais : « Ton fiancé, tu sais, c’est “mon” Pierre ; maintenant, ce sera “notre” Pierre… »

Te souviens-tu de ce petit séjour à quatre à Saint-Pierre, Pierre et moi, toi et Michel, le deuxième été de notre mariage, nos parties de bridge chaque soir et nos fous rires ? Avec ses histoires et ses bons mots, Michel nous faisait tellement rire que je croyais accoucher dans l’instant : Christian était attendu quelques semaines plus tard. En riant, tu me disais : « Ne t’inquiète pas, Michel est là pour t’apporter toute l’aide nécessaire. » Michel, tout jeune étudiant en médecine !… Quel délicieux souvenir que ces soirées savoyardes !

Après quelques jours, nous partions tous les quatre pour la vallée de Chamonix, t’en souviens-tu ? Argentière, où je rejoignais ma famille. Toi et Michel, vous plantiez votre tente au bord de quelque ruisseau, sous des sapins accueillants, pour des nuits paisibles avant d’attaquer les sommets le lendemain à l’aube avec mes frères et sœurs et d’autres amis.

Je saute quelques années. T’en souvient-il, André ? Une bien sympathique soirée quai Saint-Vincent. Nous nous sommes retrouvés, à un moment, dans un coin du salon, et tu m’as dit : « Regarde cette petite en jaune vers la fenêtre, c’est à elle que je pense… » Cette « petite en jaune », une charmante jeune fille, avec une très jolie robe longue, un charmant sourire : Chantal…

Je ne puis terminer sans évoquer un très beau souvenir, très ancien (1989), néanmoins encore très présent à notre mémoire, à Pierre et à moi : notre pèlerinage sur les pas de saint Paul avec toi, André, et Chantal : Tarse, Smyrne, Éphèse, Millet… où nous avons vécu ensemble des moments très forts et inoubliables.

Il y aurait encore bien d’autres souvenirs à évoquer, et d’autres le feraient mieux que moi ; ceux-ci sont les plus anciens qui me reviennent en mémoire. Avec toi, nous pourrions en rappeler beaucoup d’autres, mais tu t’en es allé trop tôt !… Tu nous as devancés auprès du Seigneur.

Cécile Jaillard.

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Je désirerais, et cela ardemment, que mon départ ne soit pas pour ceux que j’aime une souffrance. Je voudrais qu’il ne fût pas pour eux une cause de regrets, de lamentations, de larmes. J’aimerais que ma femme, mes enfants, mes petits-enfants et mes amis pensent à moi comme à quelqu’un qui les a beaucoup, tendrement aimés, et qui les aime encore, et est simplement parti un peu avant eux pour le pays de vie, de lumière, de paix et d’amour où il les attend !

Que leur vie terrestre continue tranquillement, paisiblement, jusqu’au jour où, pour eux aussi, la porte s’ouvrira ! Je voudrais qu’ils acceptent ma mort comme une chose simple, très naturelle.

D’après Rabindranath Tagore.

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Homélie

Frères et Sœurs, chers Amis,

Celui qui nous rassemble aujourd’hui, dans cette église de paroisse qu’il connaissait bien, nous est toujours présent. Il avait foi en ce Dieu d’amour dont tous les textes que nous venons d’entendre [1re épître de Jean, III, 14, 16, 20 ; Évangile selon Jean, XV, 9-17. — NDLR.] nous ont parlé. Il avait foi en ce Dieu d’amour qui nous donne ce pain de vie qui ensemence en nous une vie qui ne finira pas. Merci à vous, sa famille, d’avoir choisi ces paroles de l’apôtre Jean qui nous invitent à revenir à l’essentiel.

[Peine et action de grâce]

Et c’est vrai que si nous sommes ensemble ici, c’est d’abord pour penser à ce que nous devons à André. Et c’est pour un certain nombre d’entre vous la volonté précise de remercier le Seigneur pour ce que votre époux, votre père, votre grand-père, votre frère vous a apporté au long de sa vie.

Pour chacun d’entre nous, et c’est le moment d’en faire mémoire, il a marqué, par sa sérénité, sa discrétion, sa droiture, son sens du service, un moment de notre vie. Mais je sais que, sans doute, c’est à tel ou tel moment de son existence et de la nôtre qu’il nous a livré un message tout à fait personnel. Au soir de sa vie, sans peur et sans plainte, il a dominé sa souffrance pour accueillir la mort qui lui ouvrait les portes de ce royaume d’amour auquel toute sa vie il avait cru. Et il est donc entré avec joie dans la maison du Père comme dans la maison de l’île Barbe où il a voulu revenir pour assumer son départ vers Dieu. C’est pour nous tous le dernier message d’André.

Nous sommes donc ici, par-delà notre peine, pour remercier Dieu d’avoir mis sur notre chemin celui que nous pleurons. Oui, nous sommes ici en « action de grâce », en « eucharistie ».

Mais nous ne faisons pas les malins. La peine est très lourde, la souffrance profonde. La mort est l’expérience cruelle de l’absence de communication. Et nous ne reverrons plus André jusqu’à ce qu’à leur tour nos yeux se ferment à la lumière du soleil pour s’ouvrir dans cette lumière qu’André maintenant connaît. Il ne nous accompagnera plus dans ces lieux familiers.

N’ayons pas honte de nos larmes. Le Christ lui-même a pleuré sur la mort de son ami Lazare, et lorsque l’heure de son agonie est arrivée dans l’ombre des oliviers de Gethsémani, Jésus a eu peur de cette échéance qu’Il avait souhaitée pourtant dans son amour. Et Jésus a demandé au Père, un instant, d’éloigner ce calice de Lui. Et puis Il s’est resssaisi, sachant « qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » [Évangile selon Jean, XV, 13. — NDLR.].

[Victoire de l’amour sur la mort]

Mais comment avoir la certitude que tout ce que nous évoquons n’est pas une illusion bienfaisante ? Cette vie que nous menons tant bien que mal, est-il vrai « qu’elle ne finit pas mais qu’elle est transformée au-delà de la mort » ?

Je ne ferai pas une démonstration mathématique. Mais, Frères et Sœurs, je vous fais souvenir de ce que beaucoup de civilisations ont cru en une vie par-delà la mort : c’était un espoir… Et depuis plus de deux mille ans, les chrétiens, héritiers du monde juif et riches de la foi en Jésus, qui, par sa Résurrection, a donné raison à tous ceux qui accueillent la certitude d’une vie qui ne finit pas, les chrétiens ont annoncé cette nouvelle inouïe qu’est la victoire de l’amour sur la mort.

Aux heures de doute, pensons à tous ceux qui ont vécu, comme le Christ, comme tous les témoins de Sa parole, qui ont vécu en aimant…

Et qui que nous soyons, laissons résonner en nous les paroles mêmes de Jésus rapportées par Jean : « Celui qui n’aime pas reste dans la mort. Voici à quoi nous avons reconnu l’amour : Lui, Jésus, a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères » [1re épître de Jean, III, 14, 16. — NDLR.]. C’est l’amour que nous dispensons, en actes et en vérité, qui nous assure que nous sommes des vivants. L’amour est la preuve de la vie éternelle.

Nous n’avons pas à faire les malins : personne n’est parfait. Mais écoutons encore Jean nous dire : « Même si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur et Il connaît toute chose » [1re épître de Jean, III, 20. — NDLR.]. Alors, ayons foi en ce cœur de Dieu.

Oui, Frères et Sœurs, puisque nous sommes là, nous entendons ces paroles dont André a essayé de vivre. C’est sans doute le dernier message que Dieu le chargeait de nous livrer. Et sans doute, à vous tous, sa famille, à nous tous, ses amis, à ce monde de violence, il adresse cette dernière recommandation de la part de Jésus : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres » [Évangile selon Jean, XV, 17. — NDLR.].

Père Max Bobichon.

Saint-Rambert-l’Île-Barbe, 23 mars 2006

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 in La gazette de l'île Barbe n° 68, printemps 2007

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