Maman à Dieu

Marguerite Jaillard,
épouse de Pierre Cabane

(4 octobre 1921 11 février 2007)

Notre maman a rejoint la lumière du Christ le dimanche 11 février 2007 à lhôpital dAlix.

Mercredi 14 février : cérémonie dà-Dieu à Écully. Cet à-Dieu a été fait dans léglise dÉcully, qui nous avait accueillis pour celui de Xavier il y a onze ans ! Beaucoup démotion qui nous ont fait rejoindre tous les à-Dieu récents ou plus anciens, bien présents dans nos curs et tous ceux et celles qui sont maintenant en communion avec nous ceux et celles que maman a aimés

Nous sommes toujours pleins daction de grâces et émerveillés pour le soutien venu de tous ceux et celles qui sont présents ou qui nous portent dans leurs pensées ou leur prière dans ces temps de peine. La communion des saints nest pas un vain mot et elle commence par celles de ceux qui, dune manière ou dune autre, partagent et portent avec nous le chagrin de labsence.

« Tapprocher, Seigneur, je nen suis pas digne, mais que ta parole conduise mes pas et je serai guérie. » Cest la dernière pensée écrite dans le petit « livre dor » personnel de maman.

Maman repose maintenant avec papa dans la paix du Seigneur au cimetière dÉpersy (Savoie).

[Bruno Cabane].

µ

Quelques mots à maman

Maman,

Vous êtes partie, et ce départ est pour nous, vos enfants, un arrachement.

Vous avez été là, vigilante, depuis notre premier cri, jusquà votre dernier soupir.

Aujourdhui, nous avons à vivre cette rupture, et notre foi ne nous évite pas cette douloureuse expérience quest labsence. Nous ne pourrons plus vous rendre ces signes de tendresse dont, par pudeur ou par éducation peut-être, nous avions été quelque peu économes du temps de votre bonne santé. Mais tout ce que vous nous avez donné et Zola disait : « Maman, est-ce que jai quelque chose à moi qui ne soit pas à vous ?! » , tout cela va continuer à vivre en nous. Avec papa, vous nous avez transmis à profusion ; nous pensons par exemple :

Vous nous avez transmis le goût du beau, aussi bien dans les livres que dans le patrimoine des lieux visités avec vous.

Vous avez éveillé en nous lémerveillement devant la beauté de la nature, et en particulier de la montagne

Et puis vous nous avez appris aussi la pauvreté celle dêtre dépossédée, dans les derniers mois de votre vie, de ce qui était votre joie : la communication avec les autres. Pourtant, jusquau bout, vous avez su nous réconforter avec votre sourire.

Mais surtout, vous nous avez transmis lamour sans discours, lamour agissant qui ne fait pas de bruit et qui réconforte ceux et celles qui le reçoivent.

Maman, lEspérance est en nous, un de vos petits-fils nous le redisait avec cette phrase de saint Paul : « Puisque nous croyons que Jésus est mort et quil est ressuscité, de même, ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu les emmènera avec lui. »

Puissions-nous cultiver et faire grandir ces dons, ces forces que vous nous avez confiés. Puissions-nous accomplir ce que vous nous aviez écrit avec papa il y a quelques années : « Dun bout de la chaîne à lautre, nous enfantons pour léternité, nous sommes la graine doù sortent les jeunes tiges et nous prions le Seigneur quà leur tour, elles grandissent et donnent du fruit. » Merci maman pour votre vie.

Un de vos petits-fils va maintenant lire un extrait dun texte que vous aviez fait vôtre et qui était consigné dans votre petit livre dor de méditations.

Extrait du carnet de méditations de Marguerite Cabane,
à loccasion dune naissance

« Mon petit enfant, il ne sera pas dit que Dieu maura fait en vain cette miséricorde de te laisser à mon amour.
« Je cultiverai ton âme comme un jardin, un beau jardin de France.
« Je tapprendrai la grandeur du travail et la fierté du service.
« Je tapprendrai la droiture, le courage et la justice.
« Mais surtout, je tapprendrai lamour.
« Lamour de tous tes frères, et dabord des plus faibles et des plus malheureux.
« Je tapprendrai à pardonner linjure, à dominer les rancurs.
« Ô mon petit enfant, je ferai de toi un ouvrier de Paix. »

Bruno [Cabane].

Écully, 14 février 2007.

µ

Messe de funérailles

Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc (X, 38-42)

Comme ils faisaient route, il [Jésus] entra dans un village et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison. Celle-ci avait une sur appelée Marie, qui, sétant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service. Intervenant, elle dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de maider ! » Mais le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te soucies et tagites pour beaucoup de choses ; pourtant il en faut peu, une seule même. Marie a choisi la bonne part [Tên agathên merida exelexato. La traduction fautive par rapport au grec a été influencée par la Vulgate : Maria optimam partem elegit, quæ non auferetur ab ea. Note du traducteur.] ; elle ne lui sera pas enlevée. »

Homélie

Surprenant passage évangélique choisi pour la Parole dune liturgie qui nous fait prier et supplier le Dieu de lAlliance pour Mme Pierre Cabane, née Marguerite Jaillard et, en même temps, veut nous faire faire le deuil de son départ de cette terre. Quest-ce à dire que faire le deuil ? Ne pas laisser la peine et la souffrance de la séparation sans lilluminer dun acte de mémoire, sans ressaisir, avec laide de la grâce, de la tendresse du Seigneur, les multiples liens que la longue vie de Mme Cabane a tissés entre chacune et chacun dentre vous, frères et surs. Ils sont uniques pour chacun. Là, cest avec une fille et six fils de Pierre et Marguerite, ici, vingt-deux petits-enfants et huit arrière petits-enfants, sans oublier ceux qui sont encore dans le sein de leur maman, eux aussi seront enrichis par la mémoire de la vie de leur grand-père et grand-mère, sans doute par le moyen de La Gazette de lîle Barbe, non pour la pérennité du prédicateur, mais pour leur croissance en mémoire familiale.

Dans cette mémoire qui se ravive en ces instants, il en est une que votre être de croyant ne peut oublier : celle du Dieu de lAlliance. Il a déposé aux mains fragiles des hommes la mémoire de son secret, de son dessein, dans la parole de la Première Alliance, ainsi que dans cette parole qui en Marie sest faite chair, Jésus, le Christ, notre Seigneur.

[« Que ta parole conduise mes pas »]

Lépisode bien connu de Marthe et Marie aboutit à cette parole de Jésus : « Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas enlevée » (Luc, X, 42). Jésus ne dit pas « la meilleure part », comme on le traduit malencontreusement. Le comparatif introduit une sorte de concours entre les deux surs, entre les deux attitudes, il conduit irrésistiblement à une sorte de jugement psychologique, de comparaison. De là à dire quil y aurait dune part les aristocrates de la prière, de la mystique et, de lautre, les fantassins de lacte de foi, il ny a quun pas. Les uns seraient voués à la prière et à la contemplation, les autres auraient pour tâche de sadonner aux soins ménagers, à léducation des enfants, comme si les minutes dun père ou dune mère de famille ne recueillaient pas devant Dieu une égale noblesse.

Nous avons entendu dans lÉvangile que « Marie se tenait assise aux pieds du Seigneur et elle écoutait sa parole » (Luc, X, 39). Elle est assise aux pieds, comme lapôtre Paul dira quil « a été formé aux pieds de Gamaliel » (Actes, XXII, 3). Dans la culture sémitique, une telle attitude caractérise celle ou celui qui se laisse instruire. Lévangéliste ne dit pas que « Marie est assise aux pieds de Jésus », mais « du Seigneur ». Il emploie le titre que les premiers croyants au Christ lui décerneront après Pâques, lorsque le Dieu unique arrachera à la mort son propre fils, né de Marie. En disant « Seigneur », lévangéliste projette dans laujourdhui les auditeurs de la parole. Autrement dit, ce que fait Marie est de toujours, et cest ce que nous faisons en ces instants dépreuves : « écouter sa parole. »

Sans rien soustraire de nos larmes, voilà que la parole du Dieu unique et éternel vient nous saisir, comme « une voix de fin silence », ainsi quil est dit de lexpérience du prophète Élie au mont Horeb, quand, fuyant le quotidien de sa mission, le découragement sétait emparé de lui (1 Rois, XIX, 12). Marguerite et Pierre, dans la foi invincible qui les habitait, nont pas fait autrement devant les épreuves qui les ont atteints. Point nest besoin de beaucoup sétendre pour dire que le quotidien dune vie est tissé de joies, de bonheurs, de peines et dépreuves. Il arrive que ces dernières soient redoutables, lorsque des petits-enfants sont arrachés à la vie terrestre, avant davoir fait le plein du nombre de leurs années. Là, la maman, la grand-mère, sans larmoyer, sapprochait de ses enfants, de ses petits-enfants, trouvait la parole de courage, de foi, pour que la désespérance nemporte pas les curs. Elle se faisait proche par labondante correspondance dont chacun était gratifié. Où puisait-elle la force ? Sans aucun doute dans cette belle humanité qui était sienne, chaleureuse et retenue, mais aussi dans cette foi et cette espérance qui se transmutaient en charité pour chacune et chacun, jusque et au-delà du cercle familial.

En venant me voir, lundi soir, Bruno, Bernard et Nady, au nom des frères et surs, des belles-filles, du gendre, vous mavez parlé de votre maman, vous aviez en main un petit livre à couverture de cuir et tranche dor, que vous me présentiez comme un reliquaire. Marguerite y inscrivait dune écriture bien lisible des pensées ; la dernière écrite : « Tapprocher, Seigneur, je nen suis pas digne, mais que ta parole conduise mes pas et je serai guérie. » Parole dune hymne entendue à lassemblée liturgique, preuve que loreille nétait pas distraite, si, revenue à la maison, ses pensées étaient gravées dans le livre de raison.

[Ta servante Marguerite]

Il faut être Marie, aux pieds du Seigneur, pour ensuite rayonner de ce quon a entendu, et dans le même élan être Marthe, « occupée aux multiples soins du service » (Luc, X, 40). En évoquant par quelques traits que votre bonté ma transmis, ai-je simplement parlé de Marie ? Non ! Cest aussi de Marthe quil est question. Cest de Marthe quil sagit quand Marguerite amène Pierre, atteint par la maladie, aux cours de lUniversité vie active à la Catho de Lyon. Même si votre maman avait commencé, après des études de lettres, par lenseignement, même si elle avait un goût prononcé pour les voyages, les informations sur les pays visités, même si elle savait poser un regard contemplatif sur la vue des grands espaces que la création de Dieu offre à celui qui veut bien les admirer, ce nest pas pour autant quelle négligeait « les multiples occupations du service », comme le dit lÉvangile. Devant le Dieu qui sest fait cela même que nous sommes en devenant serviteur jusquà sagenouiller pour laver les pieds de ses disciples, il est dune égale noblesse de lacer les chaussures des enfants, de préparer le repas, de reprendre ladolescent pour quil apprenne lexquise courtoisie qui nest pas simple convention ou code, mais expression de la charité, comme il est dune égale noblesse dêtre chercheur, médecin, éducateur, chef dentreprise, car là aussi on se fait serviteur des autres.

Il ne vous a pas échappé que, dans la prière douverture, le missel de lÉglise respectant la lettre même de la liturgie ma fait dire : « ta servante Marguerite ». Même si le qualificatif na pas la vedette au hit-parade [« Palmarès » en anglais. NDLR.] du lexique moderne, il est le plus beau titre de noblesse des chrétiennes et des chrétiens. Le Dieu de lAlliance dit de Moïse « mon serviteur », du roi David « mon serviteur », Jésus lui-même dit : « je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir », et Marie répond à lannonce de lange : « je suis la servante du Seigneur » (Luc, I, 38).

Le passage évangélique na pas commencé abruptement par le portrait des deux surs, lÉvangile raconte dabord la vie de Jésus, Christ et Seigneur. La parole initiale du récit dit : « Alors que Jésus était en route, il entra dans un village et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison » (Luc, X, 38). Il sagit dune étape, puisquil est en route, mais quelle route ? Lévangéliste a pris le soin de dire que Jésus, quittant la Galilée, « prit résolument le chemin de Jérusalem » (Luc, IX, 51). Le croyant sait ce que signifie ce nom, il est le terme de la vie terrestre de lenvoyé du Père, lheure de la Passion, de la mort et de la résurrection. La résurrection ne survient pas comme un happy end, la « fin heureuse » dun mauvais rêve. La résurrection nefface pas le tragique de la mort. Non ! Mais cest la mort elle-même qui est traversée de part en part, cest la mort, comme le dit Paul, qui na plus son aiguillon mortifère et de désespérance, la mort traversée de part en part par la vie pour entrer dans la vraie vie. La vraie vie nest pas un prolongement de la vie mortelle ; elle est autre, elle est une vie de plénitude qui ne renie rien de la mémoire qui a façonné notre être historique terrestre. Rien ne nous est soustrait, à une exception : le péché na plus droit de cité dans cette mémoire.

« Voici la demeure de Dieu parmi les hommes, il demeurera avec eux et ils seront son peuple. Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux et la mort nexistera plus. Et il ny aura plus de pleurs, de cris ni de tristesse, car la première création aura disparu » (Apocalypse, XXI, 3-4). Telle est la foi dans sa plus parfaite utopie aux yeux du monde. Leucharistie que nous allons offrir est, indissociablement, pour que Marguerite, votre maman, votre grand-mère, soit purifiée et entre dans la lumière de lautre soleil, celui qui nest pas fait de molécules qui dégénèrent. À linstant même où nous célébrons, pour Marguerite et Pierre, le mémorial du sacrifice du Christ, dans la foi quils nous ont transmise, ce sont eux-mêmes qui nous tendent la main et, dans leur tendresse, nous font chacune et chacun bénéficiaires, parce que, par eux, nous renouvelons la foi et lespérance qui les a conduits et les a fait vivre.

Philippe Mercier.

Église Saint-Blaise dÉcully, 14 février 2007.

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Marguerite Cabane dans le train de La Mure en juillet 2004.

In La gazette de l'île Barbe n° 69

Eté 2007

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