Notre maman a rejoint la lumière du Christ le dimanche 11 février 2007 à lhôpital dAlix.
Mercredi 14 février : cérémonie dà-Dieu à Écully. Cet à-Dieu a été fait dans léglise dÉcully, qui nous avait accueillis pour celui de Xavier il y a onze ans ! Beaucoup démotion qui nous ont fait rejoindre tous les à-Dieu récents ou plus anciens, bien présents dans nos curs et tous ceux et celles qui sont maintenant en communion avec nous ceux et celles que maman a aimés
Nous sommes toujours pleins daction de grâces et émerveillés pour le soutien venu de tous ceux et celles qui sont présents ou qui nous portent dans leurs pensées ou leur prière dans ces temps de peine. La communion des saints nest pas un vain mot et elle commence par celles de ceux qui, dune manière ou dune autre, partagent et portent avec nous le chagrin de labsence.
« Tapprocher, Seigneur, je nen suis pas digne, mais que ta parole conduise mes pas et je serai guérie. » Cest la dernière pensée écrite dans le petit « livre dor » personnel de maman.
Maman repose maintenant avec papa dans la paix du Seigneur au cimetière dÉpersy (Savoie).
[Bruno
Cabane].
Maman,
Vous êtes partie, et ce départ est pour nous, vos enfants, un arrachement.
Vous avez été là, vigilante, depuis notre premier cri, jusquà votre dernier soupir.
Aujourdhui, nous avons à vivre cette rupture, et notre foi ne nous évite pas cette douloureuse expérience quest labsence. Nous ne pourrons plus vous rendre ces signes de tendresse dont, par pudeur ou par éducation peut-être, nous avions été quelque peu économes du temps de votre bonne santé. Mais tout ce que vous nous avez donné et Zola disait : « Maman, est-ce que jai quelque chose à moi qui ne soit pas à vous ?! » , tout cela va continuer à vivre en nous. Avec papa, vous nous avez transmis à profusion ; nous pensons par exemple :
Vous nous avez transmis le goût du beau, aussi bien dans les livres que dans le patrimoine des lieux visités avec vous.
Vous avez éveillé en nous lémerveillement devant la beauté de la nature, et en particulier de la montagne
Et puis vous nous avez appris aussi la pauvreté celle dêtre dépossédée, dans les derniers mois de votre vie, de ce qui était votre joie : la communication avec les autres. Pourtant, jusquau bout, vous avez su nous réconforter avec votre sourire.
Mais surtout, vous nous avez transmis lamour sans discours, lamour agissant qui ne fait pas de bruit et qui réconforte ceux et celles qui le reçoivent.
Maman, lEspérance est en nous, un de vos petits-fils nous le redisait avec cette phrase de saint Paul : « Puisque nous croyons que Jésus est mort et quil est ressuscité, de même, ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu les emmènera avec lui. »
Puissions-nous cultiver et faire grandir ces dons, ces forces que
vous nous avez confiés. Puissions-nous accomplir ce que vous
nous aviez écrit avec papa il y a quelques
années : « Dun bout de la chaîne
à lautre, nous enfantons pour léternité, nous
sommes la graine doù sortent les jeunes tiges et nous prions
le Seigneur quà leur tour, elles grandissent et donnent du
fruit. » Merci maman pour votre vie.
Un de vos petits-fils va maintenant lire un extrait dun texte que vous aviez fait vôtre et qui était consigné dans votre petit livre dor de méditations.
Bruno [Cabane].
Écully, 14 février 2007.
Comme ils faisaient route, il [Jésus] entra dans un village et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison. Celle-ci avait une sur appelée Marie, qui, sétant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service. Intervenant, elle dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de maider ! » Mais le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te soucies et tagites pour beaucoup de choses ; pourtant il en faut peu, une seule même. Marie a choisi la bonne part [Tên agathên merida exelexato. La traduction fautive par rapport au grec a été influencée par la Vulgate : Maria optimam partem elegit, quæ non auferetur ab ea. Note du traducteur.] ; elle ne lui sera pas enlevée. »
Surprenant passage
évangélique choisi pour la Parole dune liturgie qui
nous fait prier et supplier le Dieu de lAlliance pour Mme Pierre
Cabane, née Marguerite Jaillard et, en même temps, veut
nous faire faire le deuil de son départ de cette terre.
Quest-ce à dire que faire le deuil ? Ne pas laisser la
peine et la souffrance de la séparation sans lilluminer dun
acte de mémoire, sans ressaisir, avec laide de la
grâce, de la tendresse du Seigneur, les multiples liens que la
longue vie de Mme Cabane a tissés entre chacune et chacun
dentre vous, frères et surs. Ils sont uniques pour chacun.
Là, cest avec une fille et six fils de Pierre et Marguerite,
ici, vingt-deux petits-enfants et huit arrière petits-enfants,
sans oublier ceux qui sont encore dans le sein de leur maman, eux
aussi seront enrichis par la mémoire de la vie de leur
grand-père et grand-mère, sans doute par le moyen de
La Gazette de lîle Barbe, non pour la
pérennité du prédicateur, mais pour leur
croissance en mémoire familiale.
Dans cette mémoire qui se
ravive en ces instants, il en est une que votre être de croyant
ne peut oublier : celle du Dieu de lAlliance. Il a
déposé aux mains fragiles des hommes la mémoire
de son secret, de son dessein, dans la parole de la Première
Alliance, ainsi que dans cette parole qui en Marie sest faite chair,
Jésus, le Christ, notre Seigneur.
Lépisode bien connu de
Marthe et Marie aboutit à cette parole de Jésus :
« Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas
enlevée » (Luc, X, 42). Jésus ne dit pas
« la meilleure part », comme on le traduit
malencontreusement. Le comparatif introduit une sorte de concours
entre les deux surs, entre les deux attitudes, il conduit
irrésistiblement à une sorte de jugement psychologique,
de comparaison. De là à dire quil y aurait dune part
les aristocrates de la prière, de la mystique et, de lautre,
les fantassins de lacte de foi, il ny a quun pas. Les uns seraient
voués à la prière et à la contemplation,
les autres auraient pour tâche de sadonner aux soins
ménagers, à léducation des enfants, comme si
les minutes dun père ou dune mère de famille ne
recueillaient pas devant Dieu une égale
noblesse.
Nous avons entendu dans
lÉvangile que « Marie se tenait assise aux pieds du
Seigneur et elle écoutait sa parole » (Luc, X, 39).
Elle est assise aux pieds, comme lapôtre Paul dira quil
« a été formé aux pieds de
Gamaliel » (Actes, XXII, 3). Dans la culture
sémitique, une telle attitude caractérise celle ou
celui qui se laisse instruire. Lévangéliste ne dit pas
que « Marie est assise aux pieds de
Jésus », mais « du Seigneur ».
Il emploie le titre que les premiers croyants au Christ lui
décerneront après Pâques, lorsque le Dieu unique
arrachera à la mort son propre fils, né de Marie. En
disant « Seigneur », lévangéliste
projette dans laujourdhui les auditeurs de la parole. Autrement
dit, ce que fait Marie est de toujours, et cest ce que nous faisons
en ces instants dépreuves : « écouter
sa parole. »
Sans rien soustraire de nos larmes,
voilà que la parole du Dieu unique et éternel vient
nous saisir, comme « une voix de fin silence »,
ainsi quil est dit de lexpérience du prophète
Élie au mont Horeb, quand, fuyant le quotidien de sa mission,
le découragement sétait emparé de lui (1 Rois,
XIX, 12). Marguerite et Pierre, dans la foi invincible qui les
habitait, nont pas fait autrement devant les épreuves qui les
ont atteints. Point nest besoin de beaucoup sétendre pour
dire que le quotidien dune vie est tissé de joies, de
bonheurs, de peines et dépreuves. Il arrive que ces
dernières soient redoutables, lorsque des petits-enfants sont
arrachés à la vie terrestre, avant davoir fait le
plein du nombre de leurs années. Là, la maman, la
grand-mère, sans larmoyer, sapprochait de ses enfants, de ses
petits-enfants, trouvait la parole de courage, de foi, pour que la
désespérance nemporte pas les curs. Elle se faisait
proche par labondante correspondance dont chacun était
gratifié. Où puisait-elle la force ? Sans aucun
doute dans cette belle humanité qui était sienne,
chaleureuse et retenue, mais aussi dans cette foi et cette
espérance qui se transmutaient en charité pour chacune
et chacun, jusque et au-delà du cercle familial.
En venant me voir, lundi soir,
Bruno, Bernard et Nady, au nom des frères et surs, des
belles-filles, du gendre, vous mavez parlé de votre maman,
vous aviez en main un petit livre à couverture de cuir et
tranche dor, que vous me présentiez comme un reliquaire.
Marguerite y inscrivait dune écriture bien lisible des
pensées ; la dernière écrite :
« Tapprocher, Seigneur, je nen suis pas digne, mais que
ta parole conduise mes pas et je serai guérie. »
Parole dune hymne entendue à lassemblée liturgique,
preuve que loreille nétait pas distraite, si, revenue
à la maison, ses pensées étaient gravées
dans le livre de raison.
Il faut être Marie, aux pieds
du Seigneur, pour ensuite rayonner de ce quon a entendu, et dans le
même élan être Marthe, « occupée
aux multiples soins du service » (Luc, X, 40). En
évoquant par quelques traits que votre bonté ma
transmis, ai-je simplement parlé de Marie ? Non !
Cest aussi de Marthe quil est question. Cest de Marthe quil
sagit quand Marguerite amène Pierre, atteint par la maladie,
aux cours de lUniversité vie active à la Catho de
Lyon. Même si votre maman avait commencé, après
des études de lettres, par lenseignement, même si elle
avait un goût prononcé pour les voyages, les
informations sur les pays visités, même si elle savait
poser un regard contemplatif sur la vue des grands espaces que la
création de Dieu offre à celui qui veut bien les
admirer, ce nest pas pour autant quelle négligeait
« les multiples occupations du service », comme
le dit lÉvangile. Devant le Dieu qui sest fait cela
même que nous sommes en devenant serviteur jusquà
sagenouiller pour laver les pieds de ses disciples, il est dune
égale noblesse de lacer les chaussures des enfants, de
préparer le repas, de reprendre ladolescent pour quil
apprenne lexquise courtoisie qui nest pas simple convention ou
code, mais expression de la charité, comme il est dune
égale noblesse dêtre chercheur, médecin,
éducateur, chef dentreprise, car là aussi on se fait
serviteur des autres.
Il ne vous a pas
échappé que, dans la prière douverture, le
missel de lÉglise respectant la lettre même de la
liturgie ma fait dire : « ta servante
Marguerite ». Même si le qualificatif na pas la
vedette au hit-parade [« Palmarès » en
anglais. NDLR.] du lexique moderne, il est le plus beau titre
de noblesse des chrétiennes et des chrétiens. Le Dieu
de lAlliance dit de Moïse « mon
serviteur », du roi David « mon
serviteur », Jésus lui-même dit :
« je ne suis pas venu pour être servi mais pour
servir », et Marie répond à lannonce de
lange : « je suis la servante du Seigneur »
(Luc, I, 38).
Le passage
évangélique na pas commencé abruptement par le
portrait des deux surs, lÉvangile raconte dabord la vie de
Jésus, Christ et Seigneur. La parole initiale du récit
dit : « Alors que Jésus était en route,
il entra dans un village et une femme nommée Marthe le
reçut dans sa maison » (Luc, X, 38). Il sagit dune
étape, puisquil est en route, mais quelle route ?
Lévangéliste a pris le soin de dire que Jésus,
quittant la Galilée, « prit résolument le
chemin de Jérusalem » (Luc, IX, 51). Le croyant sait
ce que signifie ce nom, il est le terme de la vie terrestre de
lenvoyé du Père, lheure de la Passion, de la mort et
de la résurrection. La résurrection ne survient pas
comme un happy end, la « fin heureuse »
dun mauvais rêve. La résurrection nefface pas le
tragique de la mort. Non ! Mais cest la mort elle-même
qui est traversée de part en part, cest la mort, comme le dit
Paul, qui na plus son aiguillon mortifère et de
désespérance, la mort traversée de part en part
par la vie pour entrer dans la vraie vie. La vraie vie nest pas un
prolongement de la vie mortelle ; elle est autre, elle est une
vie de plénitude qui ne renie rien de la mémoire qui a
façonné notre être historique terrestre. Rien ne
nous est soustrait, à une exception : le
péché na plus droit de cité dans cette
mémoire.
« Voici la demeure de
Dieu parmi les hommes, il demeurera avec eux et ils seront son
peuple. Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de
leurs yeux et la mort nexistera plus. Et il ny aura plus de pleurs,
de cris ni de tristesse, car la première création aura
disparu » (Apocalypse, XXI, 3-4). Telle est la foi dans sa
plus parfaite utopie aux yeux du monde. Leucharistie que nous allons
offrir est, indissociablement, pour que Marguerite, votre maman,
votre grand-mère, soit purifiée et entre dans la
lumière de lautre soleil, celui qui nest pas fait de
molécules qui dégénèrent. À
linstant même où nous célébrons, pour
Marguerite et Pierre, le mémorial du sacrifice du Christ, dans
la foi quils nous ont transmise, ce sont eux-mêmes qui nous
tendent la main et, dans leur tendresse, nous font chacune et chacun
bénéficiaires, parce que, par eux, nous renouvelons la
foi et lespérance qui les a conduits et les a fait
vivre.
Philippe Mercier.
Église Saint-Blaise dÉcully, 14 février 2007.
Marguerite Cabane dans le train de La Mure en juillet
2004.
In La gazette de l'île Barbe n° 69
Eté 2007