Journal de Mgr Stanislas Neyrat

1872 1876

Stanislas Neyrat (« la famille Neyrat », supplément au n° 22, 5,4) est un grand-oncle dHenri Jaillard, de Lison [Louise] de Raucourt et de Magdeleine Lepercq. Ce journal, conservé par Henri et Anne Joubert, cite certains de ses parents, que situe larbre simplifié figurant en pages centrales.

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8 avril 1872 [lundi]

Aujourdhui, bénédiction du terrain à Fourvière pour la nouvelle église. Procession comme si cétaient encore les temps religieux. Que ma pauvre mère eût été heureuse aujourdhui ! Elle désirait tant ce moment ! Et voilà un mois que nous lavons perdue ! Pauvre et chère mère ! Elle nest plus là pour partager toutes nos peines, nos joies. Sur la terre, une mère est le seul appui quon sente irrévocablement sûr.

9 avril [1872, mardi]

Terminé hier soir le Journal et correspondance de Marie-André Ampère. Peu dintérêt. Belle âme, honnête et timide. Quelques détails conjugaux de trop ; pour mieux dire, quelques réticences trop significatives qui doivent empêcher de faire lire ce livre à tout le monde. Ma mère, vrai modèle de chasteté, ne pouvait souffrir la moindre allusion, et jamais je ne lai vue sourire à une parole douteuse.

M. M*** coule la Sainte-Cécile. Prétentions successives, demandes nouvelles, etc. Maintenant, il veut diriger tout le concert. Je ne puis aller ce soir au conseil.

12 avril [1872, vendredi]

La semaine dernière, nous avons fait une course intéressante. Après un jour passé chez Mme B[onnet] à Ambérieu, à jouir dune douce hospitalité, rencontre à la gare de mes neveux, avec lesquels et Éd[ouard] B[onnet] nous partons pour Culoz. Déjeuner chez (Aga)Memnon. Au Colombier, montée facile. Assez beau temps, quoique menaçant ; assez de vue, mais non sur les montagnes. Puis la neige, les congères jusquaux hanches. Manqué le chemin dArvière, revenu sur Culoz par des grapillades [sic : cf. le grapillon, « raidillon » en lyonnais. NDLR.] garnies de taillis. Le lendemain, pluie. Messe à Béon, aimable vicaire ; Artemare, Champagne, campagnes neigeuses, le col de la Lèbe, Hauteville et Tenay. Mauvais temps, mais bonne course. Éd[ouard], agréable compagnon. Premières armes de Joseph, qui peut sen tirer très bien sil le veut.

13 avril [1872, samedi]

Hier soir, réunion du conseil de la Sainte-Cécile. Séance agitée pour le latin ou le français du Gallia. H*** la emporté, en forçant la main, ce qui est très fâcheux, ainsi que le vote populaire subi. Hors cela, peu dimportance, à mon avis, mais à cause de cela, décision fâcheuse, et qui, pour lavenir, peut nous faire subir dautres couleuvres. M. L***, homme habile, souple, doucereux, mais M. Y***, maître homme, éloquent, élevé, un homme enfin. M. D***, moins clairvoyant, nous a désertés et a été cause du vote pour le français.

Quil est difficile, en vivant au-dehors, de rester toujours comme on le désire et de ne jamais outrepasser ! Aussi, que la vie de solitude est plus facile !

17 avril [1872, mercredi]

Course à Saint-Chamond avec Louis. De chez M. N***and à Saint-Ennemond, à Saint-Julien, puis à revenir par un joli sentier le long de la sale rivière. Vu enfin M. labbé B***. Il paraît las de lenseignement, et ne donne quun peu despoir. Mais confiance en Dieu, qui semble toujours vouloir mener mes neveux à bien par des voies modestes.

18 avril [1872, jeudi]

Quelle inconsistance que celle de lhomme ! Il suffit davoir témoigné dune disposition desprit, dune intention, pour la ressentir moins et être porté au parti contraire. Mais la vertu doit dominer ces variations et les empêcher.

Demain, le service de ma bonne et chère mère. Déjà près de quarante jours ! Pauvre mère, qui noubliiez personne et vous dévouiez pour tous, si assidue vous-même au culte des morts !

21 avril [1872, dimanche]

Fini la Vie de sainte Cécile, par dom Guéranger. uvre dérudition, mais où lauteur, malgré trop defforts de style, ne met guère de poésie. Cependant, les actes de sainte Cécile sont dun grand intérêt, et la légende du bréviaire lyonnais les fait peu deviner. uvre aussi de polémique, ce qui ne poétise pas non plus. Lauteur dit vers la fin (p. 442) : « Qui songeait à sainte Élisabeth de Thuringe avant quune plume chère à tout ce qui porte le nom de catholique eût révélé de nouveau le nom et les aimables vertus de la fille du roi de Hongrie ? » Ne serait-ce pas là le motif qui a fait écrire lhistoire de sainte Cécile, lémulation de M. de Montalembert ? Mais quelle différence de style, de poésie, dattrait !

24 avril [1872, mercredi]

Dîné chez moi avec [ses neveux à la mode de Bretagne. Cf. « la famille Colomb », 19a,11. NDLR.] Ad[rien] B[erloty], J[oséphine] B[erloty] et D[eni]se B[erloty], laquelle va se marier avec
M. J[oseph] R[ambaud]. Oh ! nature humaine, à la fois mobile pour les événements, faible à cause de cela, et forte pour se relever et se diriger si elle sait sattacher au bien et voir les choses den haut en tout ! Et quel empire le cur a sur les natures mêmes qui semblent les plus tranchées et les plus caractérisées !

Essayé hier lautographie à Saint-Jean : assez réussi ce qui sera utile pour la musique.

Ce matin, enterrement de Me Aymard. Les funérailles, les noces, tout se croise en ce pauvre monde.

25 avril [1872, jeudi]

Plus que jamais, jéprouve le désir de faire une petite excursion, mais je voudrais la faire seul, avec moi-même, pour réfléchir plus, savourer plus profondément, analyser davantage. Mais je ne le puis maintenant et dois rester au poste : premières communions, préparation de fêtes, tout my tient.

Soirée triste, pleine dangoisse. Que le Dieu de toute charité, de tout amour, nous aide !

29 avril [1872, lundi]

Retraite commencée hier à mon aumônerie par labbé Genin. Elle sera bonne et fructueuse sil plaît à Dieu.

Étude bien faite dans le Correspondant sur les occupations de la première année de droit, bonnes réflexions sur les improvisations et les improvisateurs.

5 mai [1872, dimanche]

La retraite de première communion a été bonne, et sera certainement profitable. Dieu veuille aussi que les résultats en soient durables, afin que ces chers enfants conservent la piété !

Lu Le Fayoum, le Sinaï et Pétra, de M. Lenoir. Description rapide et pittoresque, assez vraie et chargée en couleur. Voyage de peintres avec Gérôme. Beaucoup desprit parisien beaucoup, souvent trop. Peu de respect religieux au Sinaï, mais à part cela, peu dinconvenance proprement dite. Se lit vite. Pétra est un voyage dur au milieu de Bédouins rapaces, le Fayoum ne paraît pas très extraordinaire. Ne pourrai-je revoir ces pays ?

11 mai [1872, samedi]

Allé mercredi, 8, à Notre-Dame-des-Dombes, voir le bon père abbé. M. Peyre et M. Nouvelet my rejoignent au milieu du jour. Causé avec le révérend père. Rien ne soppose à ma vocation ; mais il nose dire quelle existe, et je le sens hésitant suivant les différents symptômes. Ce qui my pousse, cest le désir de mon salut, trop facilement compromis dans lagitation du monde, le désir de lesprit de foi qui saffaiblit trop ; mais trop encore dindécision, de manque de volonté ferme, trop de calcul. Jai, je crois, plus besoin de prière que dautre chose. Il avoue que, à cause de ma famille, je ne le puis tout de suite, mais dici à un an et demi ou deux ans, je dois avoir décidé, je dois réfléchir plus et voir quand, à propos de quoi jen ai plus envie. Mes notes vont mêtre utiles. Homme de Dieu que le révérend père, modéré, raisonnable, et qui doit être bon supérieur.

Depuis, fatigue destomac assez forte, mais la nourriture des trappistes ny est pour rien.

Ce soir, concert de la Sainte-Cécile, mais auquel je ne vais pas. Coch[onner]ie de Da***, qui fait jouer ce soir grand opéra pour empêcher son orchestre de venir. On sen tirera tout de même.

Lu Retraite et mort de Charles Quint, par Mignet [en réalité, Louis-Prosper Gachard. NDLR.]. Quelques appréciations peu favorables au catholicisme, aux papes et à lInquisition, mais ouvrage de vraies recherches, du beau style de lhistoire ; livre intéressant et instructif. F[élix] B[erlot]y, un petit Charles Quint, ayant des qualités analogues. Ce sentiment me dominait pendant cette lecture.

21 mai [1872, mardi]

Fatigue persistante, diarrhée, etc., affaiblissement, démoralisation. Tous mes projets contrariés, et moi aussi, par conséquent. Lhomme est peu de chose.

23 mai [1872, jeudi]

Fatigue continue. Évidemment, je dois dorénavant compter avec mon estomac et ne plus le croire au-dessus de tout. Temps épouvantable ces jours-ci, ce qui fait prendre la maladie en patience. Mais aujourdhui, il fait meilleur. Essayé aujourdhui le laudanum, un vieux flacon qui avait fait le voyage de Terre sainte [en octobre 1856. NDLR.], et navait jamais servi.

24 mai [1872, vendredi]

Lindisposition continue ; voilà seize jours. La pluie continue aussi, et on apprend les désastres, inondations, orages, etc. Éd[ouard] B[onne]t est revenu me voir, bon et excellent cur.

Orage sur les chapelains : on les assujettit à la pointe onéreuse au-delà de 480 pointes, cest-à-dire deux mois de vacances, avec répartition entre ceux qui nont pas dépassé ce chiffre. Ils réclament respectueusement ; que sortira-t-il de tout cela ? M. Pagnon [vicaire général de larchevêque de Lyon. NDLR.] me fait appeler ce soir. Cela minquiète : pour quoi ce peut-il être ? Uniquement pour que je demande à Mgr Lacarrière sil pourrait prêcher une retraite pastorale.

26 mai [1872, dimanche]

Amélioration cependant, avec promesse aux âmes du purgatoire, et par le moyen de lopium, qui cependant dabord navait pas pleinement réussi.

29 mai [1872, mercredi]

Rechute. Pourtant, le temps est au beau et le vent du nord a balayé le ciel. Quel joli temps ce serait pour une course ! Presque toujours ainsi lorsquon ne peut pas. Et ainsi passe la vie en projet, en mécomptes et en nouveaux projets.

31 mai [1872, vendredi]

Amélioration lente, mais graduelle.

Fait, ces jours-ci, mon petit mot pour le mariage Berloty-Rambaud. Assez laborieux, non pour lexpression, mais pour le cadre.

Réunion de la Sainte-Cécile. Décidé lorchestre habituel pour lan prochain. Il sagit de la nomination du onzième membre. Je propose Lacombe ou Journoud. Les autres proposés sont MM. F*** du Bourg (de La Chance), de Roannet, Serres, Louvier, F*** Renard, Dr Coutagne ; ces derniers, moins de probabilité.

La question de notre fin dannée à Saint-Jean me préoccupe beaucoup. Je nai pas le courage de lexécution : le souvenir de ma pauvre mère serait si présent ! Et dun autre côté, les élèves le désirent, lentrain, loccupation, la splendeur de la maison y poussent. Que Dieu veuille méclairer !

2 juin [1872, dimanche]

Oui ! que Dieu méclaire et, au besoin, me donne courage ! Je suis en crainte de désagréments pour moi et labbé T[rillat] si je ne fais rien, et dun autre côté, puis-je, dois-je faire quelque chose ?

Mon indisposition sembler passer, témoin une forte migraine.

Grands désirs de voyage : je commence à préparer. Quand on y est, on y trouve aussi des dégoûts, des peines ; il semble que ce ne soit plus si désirable. Ne trouverai-je pas de désir qui, assouvi, donne le plein bonheur ? Peut-être à la Trappe ?! Encore une fois, que Dieu méclaire et me fortifie !

M. Fels, mon cousin [en réalité, oncle à la mode de Bretagne. Cf. Les Familles Servan, Maurier, Neyrat et Teste, Servan, K1. NDLR.], vient de mourir, après une très courte maladie, ne se croyant pas même malade : il sest confessé presque pour faire plaisir, non par répulsion, mais ne se croyant pas à la fin. Homme complaisant, charitable, modeste, de murs simples et réglées. Le dernier de mes ascendants du côté de mon père.

23 juin [1872, dimanche]

Grand retard, et cependant, que javais à dire ! Dabord mon voyage du Midi pour santé, quoiquil mait peu réussi. Pour un franc à Tournon en bateau (Gladiateur), puis à Viviers, chez le bon abbé Hébrard et chez ces bons MM. Desmartins, Chomel, etc., de la maîtrise. Reçu très affectueusement. Visité cathédrale, joli chur, belles tapisseries (tableaux de Jouvenet), joli clocher. Le chapitre, qui ne fait rien, ne veut guère que lon fasse, et cependant, ces messieurs ont grande bonne volonté.

Labbé Hébrard maccompagne le lendemain. Tarascon, Sainte-Marthe, Gambetta, barbier, hôtel des Empereurs. Une voiture pour les Baux, Saint-Gabriel, Maussane, Le Baou. Pays singulier : mines et rochers taillés, rues dans le roc, ogives encastrées dans la rue, carrières. Citerne moderne. Belle vue. Course très intéressante. Vallée désolée. Trop tard à Saint-Rémy ; on y dîne. À minuit à Tarascon.

Chemin de fer à Graveson. Montée à Frigolet (frigoulette = « serpolet ») ; aridité, désert. Le sommet des tours paraît dans un ravin latéral. Couvent des Prémontrés, blanc à éblouir, en position peu grandiose, auprès dune seule petite fontaine. Ancienne chapelle et ancien joli petit cloître. Le père Edmond Organisation musicale : trois offices par jour en faux-bourdon, deux classes de musique. Juste, mais peu de voix. Discipline qui doit être sévère ; enfants en costume religieux. Église de 58 mètres, très peinte et très dorée. Belles choses, grandes dépenses. Cette institution est-elle viable ? du moins dans ces proportions ?

Le dîner, hélas ! Promenade sur les hauteurs. Ma santé pitoyable. Souper : lectures. Y a-t-il en Algérie une ville de Suphar ou de Suphasar, et deux évêques Reparatus [Tipaza et au moins son évêque du ve siècle saint Réparat. NDLR.] ?

Le soir à Avignon, le lendemain à Viviers, le samedi à Lyon. Santé peu améliorée. Labbé Convert, charmant dattention charitable.

Cette longue fatigue destomac nest pas trop en faveur de mes intentions monastiques, et en tout cas, ce nest pas aux Prémontrés que jirais. Mais, dans cet état maladif, ce nest pas un moment à décider rien que ce soit.

9 juillet [1872, mardi]

Que de choses écoulées pendant cet intervalle ! Ma fatigue est cependant moins forte, et tend à disparaître pleinement. Ce serait un avertissement sérieux si je savais bien ce qui la causée. Est-ce lhoméopathie, est-ce leau de Vals qui ma guéri ? Ne soyons pas ingrat !

Négociations de voyage. Mes compagnons : difficile que Pierre vienne ; on ne concède volontiers que quinze jours, et, vu le travail du magasin, létat de santé du père et autres circonstances, cela se comprend ; mais il men coûte beaucoup ; quinze jours ne pourraient cadrer Irai en Tyrol et Styrie en menant Camille, ou en Norvège, Suède et Russie sans lui. Difficultés de la question de la messe. M. B[ouch]***t viendra-t-il ? et Paul J[ournoud] ? Édouard a éprouvé un refus.

Il faut donc que même nos joies, et même celles que nous semblons pouvoir le mieux disposer, décider, arranger à notre gré soient semées de peines, et mélangées, dominées, semble-t-il parfois, par la tristesse. Quil est plus difficile de jouir que de souffrir !

19 juillet [1872, vendredi]

Mon voyage est décidé pour la Norvège, Suède et Russie. Décidément ni Pierre ni Camille, ce qui mattriste beaucoup et me fait souvent regretter ma détermination. Mais en Tyrol, Pierre non plus naurait pu venir, et peut-être préfère-t-on cette année garder mes neveux : cela leur fera à tous apprécier les voyages. Mais cest dur, et pour ma propre peine, et plus encore pour celle de mes neveux. Jusquà présent, Georges est mon seul compagnon. Plusieurs en balance, mais peu de probables. M. B[ouch]***t sera fixé demain, et cest bien temps. Les passeports à faire viser aux ambassades, puis il faudra partir le plus tôt possible. Que de poursuites pour un but si loin du bonheur !

Nous chantons Les Ruines dAthènes à notre fin dannée. Jai cru le devoir. Je souhaite la réussite, surtout pour la maison, et parce que je dirige tout moi-même, et parce quon a cru que je ny mettais pas de la bonne volonté.

10 août [1872, samedi]

Et voilà que nous partons. Ce soir. Douleur, inquiétude, cest ce quon trouve au fond et à la surface des jouissances. Est-ce la peine de vivre ? Compagnons : Georges Ch[ambeyron], Bonaventure B[erloty], Charles Bouch***[t].

21 octobre [1872, lundi]

Depuis longtemps, nous sommes revenus. Voyage heureux. Ch[arles] B[ouch***]t, très charmant. G[eorges], bien ; à la fin, un peu plus de tirage comme caractère ; ne serait-ce un peu ma faute ? pourtant ! Bon[aventure] a gagné beaucoup.

Pour le voyage, voir les notes [Cf. Norvège et Suède, excursion de vacances, édition Delkomme et Briguet, 1883. NDLR.]. Voyage lointain que je suis très content davoir fait, et qui est très à part, quoiquil ait eu peu dincidents très spéciaux.

Après le retour, seconde course, avec Pierre, Camille et Jules. Course mouillée. En voici le sommaire :

Départ de Lyon par chemin de fer. Changement de costume dans une allée de la rue Vaubecour. Tain, Tournon (abbé Bonjoin), Valence, Livron, Privas. Nature déjà méridionale. Foire et foiral. À pied à Aubenas ; arrivée à 9 heures du soir.

Belle vue dAubenas ; rapports avec Monistrol dEspagne ; château. À pied à Vals par Labégude. Les casses, nombreuses. Monté à Sainte-Marguerite ; beau temps ; belle vue, digne dêtre connue : petite misérable chapelle, vallées de Jaujac, de Thueyts, etc. Descente escarpée, dallée, pénible. La route. Arrivée à Thueyts, pauvre auberge.

La pluie. Gueule dEnfer : beau paysage, pour de la route ; cascade sèche, le ciel compense ; basaltes moins formés que nous ne pensions. Détour pour lÉchelle du Roi, escalier grossier dans une fissure, très curieux. La route ; pluie toujours. Arrêt à Barnas puis à Mayres. Dîner avec deux cochers. Épatement de lun deux, grand blagueur, au récit de mes voyages. Montée longue à La Chavade, parce que froide. Rafraîchissements ; renseignements incomplets. Nous partons vers 21 heures ; la pluie encore. On monte aux plateaux. À la nuit, plus de chemin ; perdus ; nuit noire ; je dégringole même un peu avec Camille. Nous appelons ; on répond dabord de loin, puis silence obstiné. Où dormir ? Froid, pluie, les nuits si longues, les abîmes pour empêcher de marcher. Nous nous recommandons aux âmes du purgatoire. À la fin, clochettes de troupeau, aboiements de chien, berger et pauvre bergerie, bonheur davoir du feu et de coucher à la paille. Nuit telle quelle. Dès lors, Pierre, parti malade et souffrant des dents, est guéri.

La pluie, plus que jamais. Le berger, brave homme, nous accompagnera, mais sa femme résiste longtemps. Nul chemin. Sur deux parapluies, un se casse, hélas ! On les ferme. La pluie pince comme du gravier, ou de la grêle. Pourrons-nous passer les Terrasses ? Trois heures et demie pour aller à Saint-Laurent-les-Bains. Bon accueil, heureusement. Fourniture de linge, vêtements, etc. Bon feu, bon dîner. On y finit la journée. Pauvre trou encaissé.

À 11 heures, départ en omnibus et quel omnibus ! pour la gare de La Bastide. Hauts et tristes plateaux si dénudés. Après délivrance de billets, nous apprenons que tous les trains sont suspendus, à cause déboulements. Que faire ? Aller à Villefort ? Il pleut encore, et nulle voiture, ni parapluie, ni capes dans ce pauvre village. À la Trappe de Notre-Dame-des-Neiges, malgré la répugnance du costume, bon accueil : le père Polycarpe, M. Nasiet le Solennel, M. Brun.

La messe et le départ. Beau temps. Cependant, le père Adrien nous fait la conduite. Pierre druidique. Aspect de la route et du chemin de fer. Prévenchères. Gracieux (?) vicaire. Ancienne église, ancienne route. Château de La Garde. Descente atroce dans la vallée ; café de la Musique ; tunnel et Villefort, resserré entre deux côtes ; hôtel Chambord.

Montée à un col élevé : belle vue sur la vallée et les montagnes qui mènent à Alès. Pays curieux en voiture, et à grande nuit aux Vans : hôtel du Cheval blanc.

La messe, car cest le dimanche du rosaire. Puis en route. Montée. Curieux pays de ruches blanches, doliviers, tout déchiqueté, usé, calciné. Berrias, Grospierres. La route sallonge, suit un grand détour de lArdèche. Vallon : hôtel du Louvre.

Barbier qui me prend pour le président de la république suisse, acharné gambettiste. Pont dArc, admirable merveille naturelle. Misérable restauration. Vieux chemin qui monte, monte, pittoresque, sur le plateau plus monotone de Saint-Remèze. Cest la fête votive, la foire. Dîner ; pièces montées. On repart. Désert. La grande pluie et le vent. Arrêt à *** chez le maire, charmant homme, puis, horrible temps, mon parapluie achève de se casser. Nous arrivons transpercés à Saint-Marcel. Arrêt. Restera-t-on, ira-t-on à Pont-Saint-Esprit, ou à Bourg-Saint-Andéol ? On se décide à aller là en voiture. Enfin ! bon hôtel Barellet.

Chemin de fer. Arrêt à Valence ; la pluie toujours. Arrivée à Lyon.

22 [octobre 1872, mardi]

Essai de demande au ministre J[ules] Simon pour obtenir de faire un grand orgue à Saint-Jean.

Lu les Lettres sur le Nord de X[avier] Marmier : intéressant ; beaucoup, peut-être trop de légendes ; bien écrit.

24 [octobre 1872, jeudi]

Réussirons-nous pour lorgue de Saint-Jean ? Ce serait si beau ! M. S[ache]t doit aller demain porter la demande à signer à larchevêque.

Tribulations à mon aumônerie. Régis est poursuivi pour navoir pas servi pendant la guerre. Pourtant, il na point reçu de feuille de route, comme en fait foi le manque de reçu. On le calomnie de sêtre sauvé pendant ce temps, et cest faux. On la condamné à un mois de prison. Il faut quil ait été dénoncé à faux par quelque voisin. Mais pourquoi ne men a-t-on rien dit que ce soit où tout est fait ? Maintenant, quarrivera-t-il ? Cest une vraie calamité pour cette maison. Que Dieu les ait en aide !

8 novembre [1872, vendredi]

Laffaire de Régis semble sarranger. Un sursis est accordé jusquau 1er janvier et une supplique à M. Thiers sera présentée par M. Ducarre [député (Rhône). NDLR.].

Laffaire de lorgue paraît marcher. La lettre de demande est partie depuis le 24 octobre. Mais un moment, jai eu peur, à cause dune demande dun autel que voulait faire le conseil de fabrique. M. J***n, député [Six députés avaient un nom correspondant à cette abréviation : MM. Nathaniel Johnston (Gironde), Alexandre-Esprit Jordan (Saône-et-Loire), Pierre-Marie Jouin (Ille-et-Vilaine), Charles-Pierre-Eugène Jourdan (Isère), Paul Jozon (Seine-et-Marne) et Alexandre Jullien (Loire). NDLR.], ma promis dappuyer, et dappuyer efficacement la demande. Si nous réussissons, ce sera un beau résultat. Mais réussira-t-on ?

Lu le premier volume de LArt chrétien de Pris, qui, malheureusement, ne parle que de lItalie. Si je ne prenais des notes, ce serait dur, malgré un style admirable et un esprit parfait ; mais cest une si abondante nomenclature ! Je me souhaite le courage jusquau bout.

Sombreur et craintes en politique. Que nous réserve cette session de la Chambre ?

« Lorsque je me sens comme pénétré par quelque pensée religieuse ou politique, jexamine si, en ce jour où lidée mest apparue, jétais bien en paix avec moi-même, si ce jour-là je nai rien fait de mal, si je nai pas beaucoup péché en paroles ou en pensées. Quand le résultat de mon examen est mauvais, jen conclus quil doit y avoir eu aussi du trouble dans mon esprit. La conscience est comme le régulateur de lâme. » (Pensée de Mickiewicz.)

Janvier 1873

Question de lorgue refusée au conseil de fabrique. Est-ce possible ? On paraît cependant si sûr dobtenir au gouvernement ! Il faut reprendre en plus modéré.

Régis fait sa peine, mais avec des congés.

Fini LArt chrétien : trop incomplet, mais utile à lire.

24 février [1873, lundi]

Lu Les Montagnes de Dupaigne : très instructif et intéressant ; très chrétien aussi, ce qui double lutilité. Livre à conseiller.

[Rayé : « Résumé de son explication de la Genèse, qui ma ouvert les yeux et affermi la foi », et lébauche en quatre lignes du résumé suivant, finalement rédigé sous la date du 31 mai 1873. Cf. aussi 10 juillet 1873. NDLR.]

La Genèse et la géologie

La Bible na pour objet que les vérités religieuses et qui concernent lhomme.

Elle parle la langue populaire. Ce ne sont que des traductions.

Pour les faits physiques, le commentaire est libre. Mais il y aura toujours accord entre la science et la révélation.

Tradidit mundum disputat unibus eorum.

Dies unus sicut mille anni (Ps[aumes] [XC, 4, mais dans la formulation de la 2e Épître de Pierre, III, 8. NDLR.]). Les jours de la création sont des périodes, des progrès (Bossuet [Discours sur lhistoire universelle. NDLR.]), peut-être des milliers de siècles.

Époques géologiques

1° Matière des astres, matière pondérable, qui nest pas léther impondérable, sans lumière. Par la condensation de notre nébuleuse, rapprochement des atomes, lumière et chaleur. Impulsion initiale : rotation (Laplace) ; aplatissement ; anneaux détachés ; planètes. Époque cosmique.

2° Condensation englobe ardent liquide ou plus ou moins solidifié par sa pression vers son centre. Croûte opaque, sur laquelle leau de latmosphère sest précipitée. La surface est une mer boueuse, chaude et dissolvante. Nuages épais qui cachent tout. Jupiter et Saturne sont encore probablement ainsi. Époque azoïque.

3° Mer devient tiède, nuages translucides. La vie apparaît dans leau par les animaux inférieurs à respiration branchiale et plantes molles. À la surface, exubérance de plantes sans fleurs, marécageuses. Climat uniforme sur tout le globe : les nuées tamisent et égalisent laction du soleil. Époque des terrains de transition et de la houille.

4° Épuration graduelle de latmosphère, nuages amincis : le soleil éclaire directement la terre. La houille, les premiers calcaires ont absorbé lacide carbonique : respiration devient possible. Nouveaux types peu remarquables danimaux. Époque intermédiaire des terrains permiens et triasiques (dyas).

5° La formation du calcaire abondant purifie latmosphère, les climats commencent. Animaux à respiration pulmonaire, reptiles ; les oiseaux deviennent nombreux ; arbres qui commencent à ressembler aux nôtres. Époque jurassique et crétacée.

6° Ordre de choses actuel. Les grandes saillies continentales daujourdhui. Climats plus assurés, plantes à fleurs, mammifères, carnivores. Apparition de lhomme. Époque des terrains tertiaires, quaternaires et diluviens.

Daprès le texte hébreu [Genèse, I, 1 II, 3. NDLR.]

In  principio creavit Deus clos (clum) et terram  léther et la matière pondérable. Et terra erat solitudo et inanitas (invisibile et incomposita, disent les Septante gaz et corps simple. Et caligo super faciem abyssi ténèbres et Spiritus Dei motalat super faciem aquarum  la volonté de Dieu avait donné une énergique force impulsive à ces fluides. Et dixit Deus : Sit lux, et fuit lux au moment déterminé, la combinaison des éléments sopéra et le rayonnement dans lespace produisit lumière et chaleur. Et vidit Deus lucem quod bona ce rayonnement, parfait accomplissement de sa volonté. Et divisit Deus inter lucem et inter tenebris  Dieu mit des intervalles entre les espaces lumineux, que séparèrent des espaces obscurs, anneaux successifs de la nébuleuse primitive. Et vocavit diem lucem, et tenebras noctem. Et fuit vespere, et fuit mane, dies unus le soir (confusion), le matin (naissance) : le jour hébreu et liturgique commence le soir.

Et dixit Deus : Sit expansio (firmamentum) in medio aquarum une étendue, un espace libre (gaz) et sit divideras inter aquas et aquas ; et fecit Deus expansionem et divisit inter aquas quæ sub expansionem et inter aquas quæ super expansionem les séparant de telle sorte quil y avait un océan boueux ou liquide au-dessous de cet espace, et des nuées, poussières liquides, au-dessus de lui. Et fuit ita. Et vocavit Deus expansionem cælos  latmosphère, le ciel  ; et fuit vespere, et fuit mane, dies secundus.

Jusque-là, hypothèse ; dès lors, géologie.

Et dixit Deus : Congregentur aquæ de sub clis ad locum unum ; et appareat arida. Et fuit ita rassemblement des eaux qui prennent leur niveau. Et vocavit Deus aridam, terram ; et congregationes aquarum appellavit maria mers et lacs. Et vidit Deus quod bonum. Et dixit Deus : Germinet terra germen, herbam seminificantem semen in specie sua, arborem facientem fructum, cujus semen in ea in specie sua. Et fuit ita : et protulit, etc. Et vidit Deus quod bonum. Et fuit vespere, et fuit mane, dies tertius. Verdure ; le mot traduit par germen convient aux végétaux les plus simples : algues, mousses, etc. cryptogames de la houille.

Et dixit Deus : Luminaria sint in expansione clorum ad dividendum inter diem et inter noctem, et sint in signa et tempora, et dies et annos ; et ient in luminaria in expansionem clorum, ad illuminandum super terram. Et fuit ita. Et Deus fecerat (un seul temps au passé en hébreu) duo luminaria magna : luminare majus ad dominium diei, et luminium minus ad dominium noctes ; et stellas. Et posuerat eas Deus in expansione cli, ad illuminandum super terram, et ad dominandum in diem et in noctam, et ad dividendum inter lucem et inter tenebras. Et vidit Deus quod bonum. Et fuit vespere, et fuit mane, dies quartus. Le soleil apparaît au quatrième jour, perçant le voile de nuages : Ubi eras quando ponebam fundamenta terræ ? Cum me laudarent simul astra matutina ? Cum ponerem nubem vestimentum tuum, et caligine illud quasi pannis infantiæ obvolverem ? (Job [XXXVIII, 4 9, puis XXVIII, 25, XXXVII, 11 et XXXVI, 27 28. NDLR.]) Aquas appendit in mensura Nubes spargunt lumen suum Imbres qui de nubibus fluunt, quæ prætexunt cuncta desuper. Et tout cela pour diviser le temps saisons, jours, années , servir de flambeaux.

Et Deus dixit : Reptificent aquæ reptile animæ viventis les animaux qui paraissent intéressent plus lhomme que les poissons , et volatile super terram, super facies expansionis clorum animaux nageants, animaux volants. Et creavit Deus cetos magnos nest-ce pas lichtyosaure ? , et omnem animam viventem animaux à poumons repartem, etc. Nest-ce pas les époques jurassique et crétacée ? Et fuit vespere, et fuit mane, dies quintus.

Et dixit Deus : Producat terra animam viventem ad speciem suam, jumentum et reptile un autre mot hébreu quau cinquième jour , et feram terræ seminum speciem suam Espèces : animaux domestiques, gibier, bêtes féroces. Et dixit Deus : Faciamus hominem in imagine nostra secundum similitudinem nostram, et dominantur in pisces maris, et volatile cli, et in jumentum et in omnem terram Vidit Deus omni quod fecerat : et em bonam valde. Et requievit Deus in die septimo ab omni opere suo quod fecerat. Et benedixit Deus diei septimo et sanctificavit illum. Voilà le but de tout le développement : toujours lhomme est le but théologique.

Étonnantes coïncidences !

Le septième jour na ni soir ni matin : sine vespere est nec habet occasum (saint Augustin [Confessions, XIII, 36. NDLR.]). Le septième jour ne serait-il pas celui qui naura point de fin, la vie future ? Ne serions-nous pas encore dans le sixième jour, le jour de lhomme : patere usque mundo operatur in vobis ?

(Alfred Dupaigne, professeur au collège Stanislas, ancien élève de lÉcole normale supérieure, agrégé des sciences physiques.)

12 mars [1873, mercredi]

Lu les Escalades dans les Alpes de Whymper. Étonnantes ascensions, insensées même. Cela ma fait vivre de la vie des hauts sommets, qui forme un de mes plus beaux souvenirs, et ma bien impressionné. Décidément, je ne monterai ni à la pointe des Écrins, ni au col de Pilatte, ni même au Cervin, le plus facile des trois. Un ou deux passages injustes et faux contre les prêtres.

Belle course, il y a quelque temps, au lac dAiguebelette. Chemin de fer à Saint-André-le-Gaz. Messe et réception par la domestique du curé curé absent. À pied au Pont-de-Beauvoisin, et y dîner, puis jolie route pour La Bridoire, un des [plus] jolis coins perdus qui soient. Lac assez pittoresque, mais beaucoup de neige et pas mal froid. Rafraîchis à Novalaise, et à la nuit froide à Yenne : bon hôtel, mais 50 kilomètres au moins. Bien supporté la marche. Le lendemain par Belley (où un bon déjeuner) et un joli pays à Rossillon, doù retour. Excellents compagnons : Pierre, Adrien B[erloty] et le silencieux Ém[ile] Baux.

Voyage à Genève pour expertise de deux orgues à Carouge avec M. M*** et P*** Tr[illat]. Course à Annemasse. Pauvre Genève et pauvres catholiques, mais encore plus à plaindre les protestants !

24 mai [1873, samedi]

Que de peines pour se mettre à ces pauvres notes !

Laffaire de lorgue de Saint-Jean en temps darrêt, à cause des affaires politiques. Autre affaire de placement qui ma fort contrarié. Grande colère injuste et inutile de M. C***. Jai cette fois agi modérément, quoique bien tristement impressionné. Inassiduité des chapelains. Que dois-je faire ? Me fâcher, ou plaindre, ou fermer les yeux ? Inconvénients de chaque côté.

À Pâques, voyage à Saint-Genest, Marlhes et Saint-Sauveur. Bonne réception partout, mais malade et repris fatigue de lan passé. Est-ce une course de 15 kilomètres ou plutôt un chaud et froid ? À remarquer que déjà plusieurs fois jai été fatigué de courses à la semaine de Pâques.

Cette semaine, course manquée, grâce au temps menaçant et à lindécision dAd[rien] et de Dup[asquier]. Allé seul à LArgentière en voiture (à la fin, peu intéressant ivrogne). Bonne réception, surtout de labbé Pincasson, charmant ami. Le lendemain, tous deux, par un temps couvert mais bon et de belles campagnes, par Souzy, les halles à Saint-Martin-Lestra, voir M. Pomjour : il vient daller à Jas, nous y allons, y dînons, revenons avec lui, et il me mène en voiture à Feurs, Saint-Étienne, rendez-vous manqué comme dhabitude par M. M***. Allé le lendemain seul au Chambon ; excellent curé.

Hier, course avec A*** D***y et Jas*** C***, deux bons garçons, au mont Verdun, mont Thoux, etc. Bonne promenade.

Lu les Lettres de V[ictor] Jacquemont. De lesprit, de lobservation, point de religion et peu dexigences de morale. Comme voyage, peu de descriptions, ni de renseignements. Il est curieux dy étudier les sentiments voltairiens de lépoque de la Restauration, lenthousiasme bientôt refroidi de la révolution de Juillet. Le manque de convictions en fait une lecture triste et pénible.

Lu Le Dernier des Napoléon, par le comte dApponyi. Ouvrage sérieux et assez fort. Décourageant au point de vue de la France, quil croit perdue. Nest-il pas trop sévère, et aussi trop autrichien ?

29 mai [1873, jeudi]

Éclaircie politique. Dieu aime encore la France. Le courage revient.

31 mai [1873, samedi]

Ce qui étonne à bon droit, cest comme les méchants, les rouges, les malveillants ont vite été calmés et sont rentrés dans lombre. Que cela continue, et quon en soit reconnaissant !

Découragement pour la musique. Les chapelains ne viennent pas aux classes de musique, et à peine au chur, quelques-uns du moins ; le changement de place pour chanter échoue pour le moment. La question dorgue navance guère. Tristesse et abattement.

[« La Genèse et la géologie » : cf. 24 février 1873. NDLR.]

10 juillet [1873, jeudi]

Retour de Grenoble et Voiron. Bien accueilli par lévêque, qui paraît homme dinitiative. Étude dhommes : les plus chaleureux ne sont pas les plus sûrs ni les plus intelligents.

Et le voyage de cette année : il sannonce bien. Mais le choléra ne viendra-t-il pas contrarier ?

Quel est donc le motif de Tr[illa]t ? Je ne puis comprendre. Il semble que je sois brouillé avec
P[agn]on : quai-je fait ? quel avenir poursuit-il ? Quil y a besoin souvent de tout remettre entre les mains de Dieu ! Car il y a bien des choses sensibles !

Des espèces, darwinisme, etc. : échafaudage de déductions prétendues scientifiques, essayant de prouver que la vie émane de la matière inerte. Précurseurs de Darwin : de Maillet et Lamarck. Daprès eux, lhomme descend immédiatement du singe, médiatement dun monite ou dun protiste. Tout repose sur une hypothèse, celle de la création du monite, et une négation, celle de lespèce.

Sélection artificielle (croisements des animaux domestiques).

Sélection naturelle. Le monite, petite bête grosse comme une tête dépingle est-ce une plante ou un animal ? , autrefois seul sur terre, a donné naissance à des protistes, puis à des animalcules petits, puis plus gros, puis à de petits poissons, puis à des gros, puis à des oiseaux, éléphants, singes, hommes, etc. !!! Pas plus difficile que cela.

Le monite est une matière gélatineuse sans enveloppe ni organisation intérieure. Dabord se produit un étranglement, puis une séparation, qui forme un deuxième monite.

Mais pour chaque changement, il faut une révolution du globe : que de révolutions !

Quon montre une seule espèce qui ait été transformée, une seule !

Et encore, avant le monite, quy a-t-il eu ? Et pourquoi tous les êtres ne sont-ils pas devenus hommes ?

Ils expliquent ainsi lorigine des mauvais instincts de lhomme, mais doù viennent les bons instincts ?

Ils prétendent que lon a bien les intermédiaires jusquau singe, mais entre le singe et lhomme, les états intermédiaires, singes plus perfectionnés, ont disparu, et manquent, soit que leurs fossiles naient pas été découverts, soit que le continent qui les portait, placé entre lInde et lAfrique, soit actuellement recouvert par la mer.

Et on dit cela sérieusement ! Doù vient donc la mémoire ? et la conscience ? Les quelques ressemblances entre lhomme et le singe ne sont que pour le côté instinctif, matériel et peu important.

Et le langage ?

30 octobre [1873, jeudi]

Voilà Camille, mon neveu, qui va faire son année de service. Peine et inquiétude. Cest la vie. Mais comme le dit sa mère : Que voulons-nous, sinon la volonté de Dieu ? Et que cela console ! Mais que de soucis, dangoisses vont suivre !

Et la politique Quelle heure suprême ! Pourtant, on ne peut croire que Dieu ne veuille pas sauver la France.

Lorgue est accordé par le gouvernement : 24 000 francs. Mais nouvelles oppositions, à cause des dépenses supplémentaires du buffet. Cependant, au ministère, on est disposé à donner plus. Aussi, il nest guère possible quon puisse mettre des entraves bien efficaces. Cependant Quil est donc difficile, ardu de faire ce quon croit bien ! et quil est plus facile de suivre la bonne petite routine ! Et que cela est encore plus vrai au spirituel et pour son âme !

Le beau voyage de ces vacances sest fait heureusement, sauf la petite indisposition de
G[eorges], qui ma si fort inquiété ; sauf aussi sa douleur de famille, qui a manqué nous séparer. Quelques tiraillements avec lui, peu durables, et aussi avec D[emoustier], froid, mais très égal de caractère. Nai-je pas été trop sévère avec lui ? Et lai-je mis suffisamment à laise ? Je suis heureux quil aille à Chambéry avec Camille ; il lui sera utile.

Lu La Russie contemporaine de Léouzon-le-Duc : intéressant mais déjà ancien (1854). La guerre de Crimée, lavènement dAlexandre II, laffranchissement des serfs et bien dautres choses sont venues depuis et ont profondément modifié la Russie.

Paul part aussi demain pour Paris, où il fera son année de service. Jespère quil pourra être organiste à Saint-Jean. La Providence semble tout arranger, comme elle a rapproché ceux qui semblaient se diviser.

Course à Ambérieu il y a quinze jours. Pu aider à sauver la vie à deux vieillards, presque asphyxiés dans une cuve en foulant la vendange. Quil en faut donc peu pour mourir ! Les Bonnet sont très courageux et Édouard a beaucoup dinitiatives.

6 novembre [1873, jeudi]

« Et ceci aussi passera. » Devise mise sur un blason dans un anneau. Très belle et utile maxime, et dans le prospérité et dans ladversité (attribuée par la légende à Salomon).

Et la politique ? Et la lettre du comte de Chambord ? Que cest noir !

Monseigneur a dit de commencer au plus tôt les travaux de lorgue.

7 novembre [1873, vendredi]

Faites des projets de plaisirs, de joies, de jouissances ; il suffit dun petit mal de dents, dun rein pour tout empoisonner.

15 novembre [1873, samedi]

Où allons-nous ? Qui peut le savoir ? Labbé Magne nommé secrétaire du vicaire général de Saint-Étienne. Plus de soliste basse ! Dur commencement dannée. Point daltos, qui cependant se formeront passables. À la garde de Dieu, qui gardera bien dautres choses.

Je lis les Mémoires du cardinal Consalvi. Grand intérêt ; évidente véracité. Je lis aussi la vie de saint Pie V de M. de Falloux : intéressant aussi.

30 novembre [1873, dimanche]

Ouf ! quelle semaine ! Mercredi, on a commencé à démonter lorgue ; explication orageuse entre M. de S[erre]s et M. M***n, explications moins vives avec M. G***t. Jeudi, de nouveau, longues explications ; témoignages de mauvaise humeur ; puis il fallait savoir si M. Bélédier revenait encore jouer, si je fais lintérim, si lharmonium fait le même service que lorgue, etc. Négociations, diplomatie, etc. Et que lharmonium est pénible à jouer et peu consolant !

Mort de M. Brun (93 ans), facteur dorgues, pour qui, le premier, les orgues nont pas joué. Et le vieux souffleur, mort aussi le lendemain du démontage.

Je suis nommé dans une commission pour voir si lon peut reprendre dans le plain-chant les anciens chants communs. M. Thibaudier, président, MM. de Serres, Drevet, Gourgout, Merley, Vachet, et moi. uvre peu facile à faire bien.

9 décembre [1873, mardi]

Première séance de ladite commission. M. de Serres sélève avec force contre tout changement. Ne manque pas dune certaine érudition. Semble cependant pouvoir consentir à un supplément rétablissant certains chants communs des messes et surtout des saluts. M. V[ache]t très porté à ne point faire de changements, ce qui métonne. M. M[erle]y absent. M. G[ourgou]t assez neutre. M. D[reve]t et moi seuls pour le rétablissement, dune manière formelle. M. T[hibaudie]r préside bien, mais un peu longuement.

Le second souffleur est mort aussi de suite après lenlèvement de linstrument !

Hier, rendez-vous vers lorgue entre M. Desjardins et M. Merklin. La place est un peu large, mais Dieu nous donnera de conduire tout à bien. Lharmonium est pénible, peu satisfaisant pour jouer seul et accompagner le plain-chant, mais la musique nen va pas plus mal.

Achevé les Mémoires du cardinal Consalvi. Quatre parties : le Concordat, le divorce de Napoléon, vie privée, ministère dÉtat. Conséquemment, des redites, mais écrit simplement, véridiquement, sans passion. Caractère beau de désintéressement, de courage, de présence desprit et de dévouement. Les mémoires sarrêtent en 1812.

8 janvier [18]74 [jeudi]

Anniversaire de lan passé ; M. P***rd me dit ce matin que lon ne paiera rien pour lharmonium, ni pour celui qui me remplace à la mesure ; quon est trop furieux contre moi davoir fait enterrer lorgue pour un an, quon aime tout autant que je laisse tout de côté. Jai été modéré, mais que de souffrances ! Que faire ?! Si sa parole représente lopinion de la fabrique et du chapitre, je nai quà men aller ; mais jaimerais mieux quils me donnent ma démission. Les jours se suivent sans se ressembler. Hier, M. H[ignar]d me demandait si jaccepterais quil fît prudemment des démarches pour me faire recevoir à lAcadémie de Lyon. Le bon Dieu veut me montrer le néant de toute faveur humaine ! Quil me conseille !

Je viens de Chambéry. Pauvre cher Camille, parfois dans les noises. Ce qui le tourmente, cest lexamen de la théorie. Toujours bon, prévenant, toujours pieux et délicat de conscience. Nous avons fait ensemble une douce promenade sur les hauteurs. Bonne soirée avec ses compagnons : Guillot et Jubin surtout très bien. Quelle vilaine chose que la guerre et tout ce qui sensuit ! Quelle triste chose que le plus grand ennemi de lhomme soit lhomme lui-même !

Lu les Principes dune véritable restauration du chant grégorien, de labbé J[ules] Bonhomme : très intéressant, bien raisonné en faveur de lédition de Reims, basée sur les manuscrits, quils ont pour principe de ne jamais abréger. Très opposé à lédition Lambillotte, basée sur le manuscrit de Saint-Gall, volontairement écourté ; à lédition de Rennes, basée sur celle de Nivers, abrégée ; Valfrey, édition Malines, sur lédition de Giovanelli (grado de Paul V), successeur de Palestrina, écourtée aussi, et sur lantiphonaire de Liechtenstein, de Venise. La nouvelle de Ratisbonne est aussi basée sur ces deux livres.

Fin de la commission du plain-chant. On a évité le retour à lancien à lunanimité, mais M. de S[erre]s était parti auparavant. Maintenant, on va nommer une autre commission, dexécution. Gare à moi !

12 février [1874, jeudi]

Marseille. Parti pour Oran. Il men a coûté beaucoup pour partir, peu davance, mais beaucoup au jour dit. Venu ici avec J*** Jourdan, très bon, et abbé Brat, bon mais peu en train. Retrouvé ici Régis et M. D*** Lafont. Pris les premières à cause deux. Messe à Notre-Dame-de-la-Garde. Belle ville que Marseille, grandiose ; beaux aspects. Lonel-Joseph est notre bateau, très confortable et plus grand que je ne pensais. À la garde de Dieu pour moi et pour tout ce que je laisse !

Partis à cinq heures trois quarts, après avoir flâné un peu en ville près de la cathédrale non finie encore. Mer bientôt très grosse et forte. Après le premier repas, je prends le mal de mer très fort ; malade toute la nuit et le matin, je puis cependant dîner. M. Brat, très fatigué, a lair encore plus malheureux que de coutume. M. D*** Lafont reste couché. Régis renonce même à déjeuner. Sur le soir du 13, le vent se calme, le ciel, de la pluie, passe au beau. Je vais mieux. On voit lîle de Majorque à travers les brumes.

14 [février 1874, samedi]

Très beau temps, serein et clair ; mer calme. Quel plaisir ! Belle vue sur les côtes et montagnes dEspagne. Golfe dEscombreras, cap Maloz. Vrai plaisir à voyager, maintenant. Les côtes peuplées sur certains points, désertes ailleurs, montagnes incultes. Pauvre Espagne. Portman, fabriques et passim.

Vu Carthagène. Nombreux souvenirs dEspagne. Ville bombardée en ruines, presque aucune maison qui ne soit atteinte. Grand cocher espagnol. Aucun mouvement. Malheur. Pauvre cathédrale. Monté à un ancien fort ; belle vue sur le port, la ville, les rochers qui portent les forts, la plaine à jardins de palmiers et de cactus. Journée de vrai plaisir.

Le soir, à bord. Musique du bord ; quels instruments ? un accordéon pour tout chant ; essai de bal sur le pont ; flammes du Bengale, fusées. Nuit très calme. Arrivée à Oran avant 7 heures. On ne voit de la mer que peu de la ville : Notre-Dame-du-Salut et quelques forts.

Nous allons dire la sainte messe à la cathédrale, guidés par le sacristain, quon nous a envoyé.

Très bon accueil de Mgr Callot, à léglise dabord, puis chez lui. Cathédrale peu importante, le chur ancien, la façade jolie, vaste crypte, nef non voûtée. Lévêché et le grand séminaire à une heure de la cathédrale, en pleine campagne ; jardins fleuris et odorants. Après dîner, retour à la ville. Premier essai dorgue, lequel est malheureusement trop en retrait dans une tribune pas assez haute. Larchitecte a fait là une grosse erreur. Réception manante de M. F***, chanoine, parce que nous avons été en retard.

[16 février 1874,] lundi

Visites le matin pour tout préparer avec le charmant et complaisant abbé Dézizaux, aumônier de Monseigneur, larchitecte, M. Viala, M. de Prébois, chef de gare, Mme Servel de Conty, Mme Castaing, M. Albert Grand, M. Daniel, M. Buhl, organiste titulaire, M. Wilhelm, facteur, M. Reynaud, organiste de Karguentah, M. Velmet, idem de Saint-André, M. Calmels, chanteur, etc. ; ces visites occuperont plusieurs jours. Après-midi, avec Monseigneur et M. Brat, à Miserghin ; belle végétation sur la route, fermes, tour Comba ; trinitaires, supérieur ressemblant à M. Duplay ; arabes converties ; bon pasteur, M. Héraut ; maison du père Abram, ses jardins, mandarines, oranges et bananiers.

[17 février 1874,] mardi

Courses et visites ; le général Osmond. Le soir, pièce chez les pères jésuites.

[18 février 1874,] mercredi

Les Cendres à la cathédrale, puis visites et préparations.

[19 février 1874,] jeudi

Le matin, charmante promenade : village de Gambetta, puis ancienne redoute espagnole, et descente par de vrais rochers des Alpes et un charmant sentier au bord de la mer, sur des rocs creusés par les eaux. Le vent est fort, les flots mugissent, lécume ressaute ; trop courts moments. Labbé D[ézizaux], charmant et sympathique jeune homme, très complaisant.

À 3 heures, expertise nombreux experts très satisfaisante. Je suis le plus sévère. À 5 heures, exercice avec Mme Servel de Conty et Mme Castaing : la première, voix éclatante ; la deuxième, plus sympathique organe. M. Al[bert] Grand un peu nasillard. M. Calmels, assez joli ténor. Le soir, collation à la cure, puis soirée chez M. Calmels : musique encore ; M. de Prébois, chef de gare, bon artiste et serviable ; M. M*** Termonist, M. Moulin, le vice-consul dEspagne, etc.

[20 février 1874,] vendredi

Repos. Avec M. Dézizaux et M. Brat à Miserghin ; auparavant, je range deux morceaux de musique pour les zouaves. M. Héraut vient nous prendre et nous mène en voiture de place. Le père Abram nous mène de suite aux moulins. Tête grande, longue et intelligente du père, ancien compagnon de Monseigneur de Lyon. Les moulins sont dans un vallon où sont les sources qui font la richesse de Miserghin ; admirable végétation. Excellent dîner au moulin, servi par les frères : vin de Noé, cest-à-dire de vigne vierge, liqueur de mandarine, huîtres, rougets, etc.

Nous remontons voir les sources dans le ravin voisin, surtout celle qua découverte le père Abram à laide dun plomb tournant ; avec labbé Dézizaux et labbé Allier, nous traversons la montagne et rejoignons la voiture. Salut au bon pasteur, puis salut chez P*** Abram, mêlé de notes fausses et de préaux, puis leçon de chant au bon pasteur sous la direction de deux surs irlandaises. Soirée et coucher chez M. Héraut.

[21 février 1874,] samedi

Retour à Oran. Pluie le matin, boue. Le beau temps revient à la cathédrale puis à lévêché ; dîner avec mon cousin Régis, M. D*** Lafont et les deux ouvriers Vogt et Donnhausen. À 3 heures, exercice avec le chef de musique du 2e zouaves et quelques chanteurs. Le soir, sept heures et demie, séance dinauguration. Le Saint Sacrement enlevé ; un peu trop de chemin. Vrai succès. Pastorale de M. de Prébois. Je joue assez bien la prière et marche des Ruines dAthènes, moins bien les Souvenirs (fantaisie sur des noëls). Les chants, très bien.

[22 février 1874,] dimanche

Après dîner, course avec labbé Dézizaux, toujours charmant. Oran et jardin public ; belle vue. Route de Mers-el-Kébir : route en corniche, tunnel ; bains de la reine, au bord de la mer ; Sainte-Clotilde, Saint-Jérôme ; à droite, Saint-André et Mers-el-Kébir. Nous prenons fantaisie de gravir la montagne ; chaleur étouffante. Divers sommets, arête den haut ; vue admirable. Campement arabe. Nous suivons par larête pour gagner le marabout ; épines et palmiers nains. Tout à coup, le marabout nous apparaît loin, loin, trop loin : inquiétude ; nous pressons le pas. Ravin. Cependant, nous y voilà, et par une forte descente, bientôt à Saint-Louis, suant et en grande soif. Détour militaire. Peu de monde. Organiste de Mostaganem, protégé de M. Dieterich ; M. Grand chante ; organiste du père Abram (assez content). Course qui laisse un doux souvenir.

[23 février 1874,] lundi

Visites encore. Le soir, bénédiction de lorgue, allocution et divers morceaux. Séance encore meilleure que la première, plus respectueuse ; presque autant daffluence. Après la cérémonie de bénédiction, laquelle se fait très bien, je joue une fanfare qui réussit et des adieux qui disparaissent ; lAve Maria de Cherubini presque applaudi. Articles de LÉcho dOran, du Courrier et de LAtlas.

[24 février 1874,] mardi

Repos, mais visites encore. Beau sabre du général, mauresque. Dîner avec les artistes chez Monseigneur. M. le curé et les histoires de Pélissier. Visites dadieu. Tristesse.

 [25 février 1874,] mercredi

Départ. Labbé Dézizaux maccompagne à la gare. Tristesse mêlée dun peu de désappointement : pourquoi sattache-t-on si vite et si fort ? la vie nest que séparation, et chaque fois, il semble quon laisse une partie de soi-même.

Départ avec Vogt et Donnhausen. Vastes plaines bordées de montagnes. Saint-Denis-du-Sig ; belles cultures. Relizane ; déjeuner maigre sur commande par télégraphe. Orléansville ; le pays devient plus accidenté. Le Chélif, rivière qui a de leau. Affreville. Dîner manqué. Arrivée à Blida vers 10 heures ; les hôtels pleins ; coucher à celui du Roulage.

Bonne nuit pourtant. Dit la sainte messe à la très convenable église paroissiale ; accompagné par M. labbé Thuin, de Paris ; jeunes vicaires. Jardiniers ; très superbes oliviers, les plus beaux que jaie vus. Orangeraies tout autour de la ville ; les oranges sont déjà toutes récoltées.

Chemin de fer à Alger. Boufarik, maison carrée, vue splendide sur Alger, carrière de marbre ou de plâtre. Aspect étrange, féérique, surtout de la ville haute. Vogt et Donnhausen mattendent au débarcadère. Je vais chez le curé de la cité Bugeaud, M. Cassan, froid mais très bon cur ; sa domestique, Marie, de Saint-Étienne. Après dîner, venu en ville, monté par les rues arabes à la kasbah ; rues étranges, en escaliers ; les maisons se rejoignent ; encorbellements par des troncs soutenus par dautres troncs. Aspect incroyable : aussi oriental que Le Caire, moins lart, et encore beaucoup de cours à arcades. Belle vue de la kasbah. Vu les mosquées de ***, assez belle, et de la Pêcherie, très intéressante, souvenir lointain de Cordoue. Vu larchevêché, beau palais arabe ; Monseigneur minvite à dîner pour demain. Vu le musée, beau palais arabe. Tous palais du dey.

 [27 février 1874,] vendredi

En voiture au jardin dessai, loin Belles allées de palmiers, de lataniers, de bambous surtout, de platanes, etc. Autruches. Visite à M. Compte-Calix, à M. Ribollet. Monté à Saint-Eugène par Notre-Dame-dAfrique, beau de dehors plus que dedans ; belle vue, ex-voto, palais de larchevêque au-dessus du petit séminaire arabe. Personnalité de Mgr Lavigerie. Le père Chevalier (dUsson). Élèves arabes, leurs chants.

Le soir, promenade en ville. Pluie et mauvais temps. Salut à la cité Bugeaud.

 [28 février 1874,] samedi

Promenade en ville, achats. Synagogue. Pluie et temps atroce. Embarquement sur LImmaculée-Conception.

Bientôt, nous roulons à plaisir. Vue cependant le plus longtemps possible sur Alger. La tempête augmente et des vents furieux le soir ; nuit épouvantable, et le mal de mer Cris des femmes. Le dimanche, soirée un peu plus calme à cause des îles Baléares, à gauche desquelles on passe. Le lundi matin, côtes dEspagne, le Montserrat, le Canigou, cap Saint-Sébastien, cap Creus. Le temps devient meilleur et calme en arrivant le soir à 7 heures à Marseille. Pris lexpress du soir pour Lyon.

25 mai [1874, lundi]

Voilà longtemps dinterruption. Pendant ce temps, que de misères pour lorgue ! Choses dures à entendre, peu charitables à consigner. Et cependant, nest-ce pas pour le bien que je lai fait, et nest-ce pas dans mes attributions ? Espérons que Dieu me comptera cela comme souffrance pour la justice. Tout de même, Monseigneur na pas voulu entendre parler de la question du supplément, et nous a reçus aussi assez durement. Jai dû lui écrire après pour justifier ma conduite. M. Thibaudier a été bon pour moi. Cest fâcheux, très fâcheux pour lorgue. Quy faire ?

Belle course à Pâques. Rendez-vous à Saint-Sauveur, où jétais allé avec Joseph, sauf à le laisser revenir seul à Lyon, avec Dupasquier, Teillard et Paul Journoud. Par Taillard, où nous nous perdons et grimpons raide, à Cellarier, puis au Fulletin. Il y fait froid, mais pas de neige, et assez belle vue. Les baraques, omelette et gracieux octogénaire. Arrivée de nuit à Lalouvesc. Paul subitement fatigué ; maux de cur, froid, etc. ; il se rétablit au lit.

Belle église ; on construit la nef ; aspect de solidité magistrale, grâce et noblesse ; autel en pierre émaillée, un peu trop coquet, peut-être. Départ en voiture pour Saint-Bonnet-le-Froid. Il neige. À pied à Montfaucon. Le temps sest radouci. Il fait faim. Assez jolis vallons sur la droite. Après dîner, à pied par le pont du Saut de la Vache (à droite, le château ruiné de Dunières), Flaminge, près de Saint-Pal, où nous tirons à gauche vers Sainte-Sigolène. On y prend un guide pour le Pont de Lignon, lequel guide se trompe, nous égare de Cublaise en Pouzol, nous amène à des carrières de pavés cubiques, où nous descendons comme nous pouvons, puis au Pont de Lignon, second pont sur la Loire ; nous arrivons à la gare pour voir partir le train. Paul est fatigué du harassement subi. Trouverons-nous à coucher ? Auberge de peu dapparence : souper en compagnie peu avenante. Coucher loin, tous en une chambre. On eût cependant bien dormi sans les ronflements de Jules.

Cest dimanche. La messe à Beauzac, qui est loin. On revient à la gare. Déjeuner, puis départ. Belle gorge de la Loire. Vers midi, arrivée au Puy. Vite à la cathédrale ; escalier et porche ; la nef, si singulièrement suspendue sur voûtes. Suites de coupoles, belles lampes du sanctuaire. Magnifique cloître roman, comme la cathédrale. Rocher Corneille, mis en promenades ; belle statue de la Vierge, de Bonnassieux ; nous y montons. Rocher Saint-Michel, vieille chipie de guide ; chapelle romane qui suit irrégulièrement les contours du rocher ; beaux chapiteaux. Je suis un peu las, mais de la bonne bière nous remonte. Départ pour Le Monastier, par Taulhac, où nous quittons la plus grande route, prenons un petit col pour descendre à Coubon, traversons la Loire, visitons une église ancienne, montons rejoindre la route de Largentière à Arsac. Halte dans une auberge envahie. Il fait nuit. Rencontre dun Alsacien fixé dans le pays, qui nous guide un moment. La pluie. Arrivée tard au Monastier. Bon hôtel.

Très belle église romane, grande et bien conservée. Il a plu beaucoup. Descente par des chemins à Chadron, pauvre petit village ; bu du vin pitoyable. Ensuite, joli chemin par les prés, les bois, dominant la Loire encaissée. En face, Solignac et belles ruines où nous regrettons de ne pouvoir aller, puis Cussac ; nous laissons Poinsac et son château à droite et descendons à Coubon. Montés à Bouzols ; ruines importantes plutôt que belles, peu de restes darchitecture ; cependant, quelques peintures conservées encore. Nous descendons sur la route, qui devient longue. À Brives (non la Gaillarde), Paul de nouveau fatigué. Les quatre kilomètres qui nous séparent du Puy par Bellevue lui coûtent à faire.

Départ assez matinal. La route, qui bientôt borde la Loire, encaissée et pittoresque. Joyeux colporteur qui nous dépasse souvent avec sa petite charrette à bras. Spéculation manquée à certain coude. Nous trouvons à peine à déjeuner au joli village (belles ruines) de Lavoûte-sur-Loire. Puis nous continuons. Route encore par Saint-Vincent jusquà Vorey. Là, un brave facteur nous mène et nous indique le chemin. Joli petit chemin ; la Loire est magnifique. Chamalières. Splendide église dabbaye bien entretenue ; une seule nef, excepté autour du chur ; très intéressante. Pauvre village. Nous prenons ici le chemin de fer ; à Monistrol, nous hésitons si nous nous arrêterons, suivant le projet ; mais nous filons. Dîner à Saint-Étienne, puis départ et rentrée à Lyon.

Fatigue destomac toujours persistante, constipation, etc. Remèdes énergiques ; douches écossaises. Quadviendra-t-il ?

18 juin [1874, jeudi]

Essayé lhoméopathie. Amélioration sensible ; est-ce à cause de cette médication, est-ce à cause de bains sulfureux ? Pourtant, pas encore guérison, il sen faut !

Fini La Palestine de Vict[or] Guérin : dur à lire, sec, mais très savant. Annoté sur la carte de Van de Velde.

Je corrige les épreuves du plain-chant. Ce qui donne assez doccupations. Sera-ce au moins bien fini aux vacances ?

Avant-hier, à Terrenoire, pour ladoration perpétuelle. Bon accueil, mais quelle nuit !

Rien de nouveau pour lorgue, qui marche peu à peu.

M. le Supérieur de Saint-Jean a annoncé à labbé M[erle]y sa nomination à Saint-Jean, lui ajoutant que la seule objection faite par quelques-uns était son intimité avec moi. On avait peur que tout son temps en dehors des classes fût chez moi, etc. Toujours la même petite mesquinerie et les mêmes ombrages. Il a ajouté cependant quil était vraiment mon ami, quoique parfois obligé de dissimuler. Que de choses singulières pourtant ! et quelle injuste appréciation le plus souvent ! Mais lui, abbé M[erle]y, est un bon cur, qui en cette qualité peut avoir bien à souffrir.

17 septembre [1874, jeudi]

De retour dun curieux, intéressant, beau voyage. Les Cévennes, lHérault, un peu des Pyrénées, le Lot, lAveyron, etc. Lourdes, Rocamadour, Conques, Pouey. Mon neveu dix jours, Dupasquier trente, Gollot dix. Grande chaleur, beaucoup de force pour la marche et la montée. Maigri encore (15 kilos depuis un an). Santé bien meilleure, mais après chaque repas, je tremble. Je ne crois pas être guéri complètement. Toutefois, cest bien nerveux.

Ma domestique, Madeleine, ma quitté : quel service ! Je ne leusse pas renvoyée, mais quil y avait à souffrir et que son service métait pénible et peu sympathique ! Jespère avoir bien rencontré en Marianne : un peu susceptible et ombrageuse, un peu de verbiage, mais adroite et convenable.

Fini de corriger les épreuves de plain-chant, en voyage. On parle encore peu de cette question.

Lorgue se monte dans les ateliers ; il y aura un retard considérable. Gare ! Jai peu de courage pour supporter les misères. Que Dieu me vienne en aide ! M. Ch***t a bien accueilli Paul, et lui a donné tout espoir.

M. Perroud mort pendant mon voyage, M. Dallery le remplace. Grande perte pour la maison de Saint-Jean. Je suis heureux de le conserver.

Et la question de lAcadémie de Lyon, où lon me fait espérer mon entrée, ce dont jai fait une demande bien accueillie. Cest pour décembre, mais ny aura-t-il pas des obstacles, des misères, des ombrages ? Encore à la garde de Dieu !

13 octobre [1874, mardi]

Que jaurais à dire pour lorgue, où de nombreux orages au sujet du retard ! On affecte cependant de ne pas parler de moi en cette affaire. Longue explication avec M. de S[erre]s, assez bonne, mais japprends ensuite quil a fait, auprès de M. B***n, une demande pour lui faire retirer sa démission : et pourtant, nayant pas encore sa réponse négative, il me disait que ladmission de Paul ne souffrirait pas [de] difficulté !

Chez moi, moins dinquiétude, mais plus de dégoût.

14 novembre [1874, samedi]

Dieu a aplani les difficultés pour Paul : le voilà organiste depuis dimanche dernier ; cest un grand soulagement pour moi, une victoire, un encouragement. Merci au bon Dieu !

Apaisement pour lorgue ; jai mené M. de S[erres] chez M. Merklin ; a été enchanté ; ma expliqué quil avait vu que M. B***n ne pourrait, à cause de sa santé, revenir à Saint-Jean. On a pris le parti dattendre plus patiemment jusquau mois de janvier pour lorgue. M. de S[erres] veut même demander le supplément de lorgue à Monseigneur. Encore merci au bon Dieu !

Je pars après-demain pour une tournée de séminaires, pour la musique. Dabord Verrières. Grosse fatigue.

Je finis aujourdhui mes visites préliminaires pour lAcadémie. Que Dieu fasse pour le mieux ! Je suis bien reçu partout et on a lair de ne pas mettre en doute mon admission. Mais Dieu sait ce quil me faut : quil le fasse !

Ma domestique assez susceptible, dhumeur peu égale. Shabituera-t-elle, et moi à elle ?

Ma santé un peu meilleure quant à lestomac, mais avec fâcheux retour assez souvent. Les reins souffrants assez souvent.

Peu lu ces temps-ci, jai eu tant de diverses occupations !

15 novembre [1874, dimanche]

Je pars demain ; gare au froid ! Que Dieu bénisse ce nouveau travail ! Ce ne sera pas peu de chose.

16 novembre [1874, lundi]

Très bien accueilli. Rencontré M. le Supérieur à Saint-Just. Vu en passant le supérieur de Mouthiers, bon mais aujourdhui distrait, et labbé Germat, chargé de la musique. Bon abbé Chaune, mais il tient trop à sa musique instrumentale. Tout concours possible de lui et de labbé Collin. Réunion des sopranos et altos, les voix ayant été déjà classées et analysées. Il y aura bien à faire pour les voix denfants. Mais je crois que nous arriverons. Santé excellente aujourdhui. M. le Supérieur a grande envie du grand harmonium M.

17 novembre [1874, mardi]

Deux classes de musique, et même trois, car une prend les voix dhommes. Celles-ci peu franches et baissant un peu. Les altos se perdent souvent. Les sopranos se développent déjà assez bien. Fait étudier lAdorate Jesus infant et lO sanctissimus. Assez bien obtenu la voix de fausset des enfants. Fait aussi répéter un cantique à lunisson à deux churs.

Un peu fatigué de lestomac ce soir, et forte migraine. Vu, ce soir, un très bel arc-en-ciel, très marqué, formé par le clair de lune.

18 novembre [1874, mercredi]

Classes ce matin, pour les enfants dabord, puis pour les grands, trois quarts dheure chacune. Ce soir, classe de plus dune heure pour tous. Après dîner et Magnificat en faux-bourdon, plus un autre cantique, repassé le tout. Ce soir, un peu de lassitude chez les élèves.

Estomac bon, mais larynx un peu souffrant, ce qui minquiète : il y a longtemps que je nen ai souffert. M. Ch*** nous paye un punch ce soir. Je réclame pour en offrir un samedi.

20 novembre [1874, vendredi]

Hier, exercice général de la communauté à la chapelle : plain-chant à deux churs, et cantiques aussi. Les grands ont de la peine à ne baisser point ; lharmonium les retient mal ; cest une habitude à prendre. Les enfants chantent bien juste, et en fausset peu nombreux ; les autres sy joindront peu à peu. Après dîner, promenade avec le bon jeune abbé Colin, dun très bon esprit et de très bonne volonté, vers Chazelles-sur-Lavieu et lancien château de La Pierre. Le soir, classe de musique pour les enfants, assez bonne. Si on peut continuer à accompagner tous les chants et à les tenir en fausset, et les grands à la voix très modérée, nul doute que la réforme ne saccomplisse, même facilement. Classes de musique aux enfants ce matin, à tous ce soir : assez bonne ; mais pour continuer, il faut un harmonium dabord, puis que M. Chaune entonne cantiques et plain-chant. En aura-t-il le temps et la force ? Oui si, se méfiant moins de lui-même, il se met de suite à lharmonium. Cest une nature bien artistique et bien dévouée.

Santé excellente, sauf le mal de dent par suite dune cassée. Bonne soirée chez moi, très gaie, avec quelques-uns de ces messieurs.

21 novembre [1874, samedi]

Reçu triste lettre de labbé T[rilla]t au sujet de lorgue. Ses craintes doivent cependant être exagérées, mais si le résultat se mesquinisait, ce serait déplorable. Il sera donc dit que cette malheureuse affaire ne maura donné jusquau bout quinquiétude et ennui. Mais celui-ci était des plus forts. Espérons quil en sera de cela comme de presque tout, où ni tout le mal ni tout le bien prévu narrive.

Quelle douce semaine jai passée ici ! Quelle tranquillité ! Je crois que je pourrais être heureux dans un pareil séjour. Ce matin, toute la communauté : les voix dhommes ont toujours grand-peine à tenir le ton. Ce soir, excellente répétition à la chapelle : belles voix denfants, belle sonorité.

Quelle belle nature que celle de M. le Supérieur ! Explication de son beau plan décole de français pour les montagnes de Marlhes, afin déviter aux paysans riches denvoyer leurs enfants se corrompre à Saint-Étienne et ailleurs. Vraiment, on y serait heureux aussi. Mais quest-ce que le bon Dieu demande de moi et à quoi me destine-t-il ? Et voilà quaprès-demain, il me faut rentrer dans cette agitation de Lyon et de Saint-Jean, dans le tumulte, lennui, le trouble, tout ce qui nest pas le bonheur, hélas !

22 novembre [1874, dimanche]

Les exécutions daujourdhui, sauf un peu celle du tout matin, très bonnes, vraiment bien bonnes. Tout le monde très content. Mais le pauvre abbé Chaune est malade. Le curé enthousiasmé des vêpres. Délicieux cantique : demain, quon publie, etc. Charmante maison, charmant et simple corps professoral, pas de coteries, de laveu de tous. Et il me faut rentrer à

8 décembre [1874, mardi]

Montbrison. Jai commencé ici. Le supérieur bon, mais un peu froid, laissant faire avec bonté. Abbé G[ermat], chargé de la musique, porté de beaucoup de bonne volonté ; belle voix, de lentrain. Abbé Conil, etc. M. Lachmann ! Hier, choisi les voix et fait une classe qui a bien réussi. Soprano de 19 ans. Assez de sopranos ; bons altos peu nombreux ; passables ténors, basses peu profondes. Le chant à la chapelle affreux de cris, de baisse, etc. Élèves portés de bonne volonté.

Je suis reçu à lAcadémie de Lyon, à lunanimité, moins un bulletin blanc, tombé, me dit-on, probablement par erreur. Tout le monde a accueilli la nouvelle avec beaucoup de bienveillance. On est trop bon pour moi. Que le bon Dieu soit indulgent pour moi !

Lorgue marche à bien, grâce à des additions de soufflerie.

10 décembre [1874, jeudi]

Les classes se succèdent : trois aujourdhui, dont une à toute la communauté. Les cantiques ne sont pas bons, mais cest plutôt la faute des cantiques que des chanteurs. Les musiciens se forment assez bien. Nous aurons dimanche, je le pense, quatre offices. Labbé Germat, bonne volonté, assez intelligent. Tous ces messieurs très bons pour moi. Le supérieur très bon aussi, mais peu dinitiatives, grande différence avec M. Chaune, mais non comme bonté.

14 décembre [1874, lundi]

Très bien chanté hier à tous les offices. La bonne volonté de tous ne sest pas démentie un moment. Quatre offices. Affluence au beau salut. Excellents résultats obtenus. On ajoutera aux classes de M. Lachmann, lesquelles seront consacrées au solfège et à la préparation des morceaux profanes, deux sections le dimanche à 9 heures et un jour de la semaine de six heures trois quarts à sept heures et demie du soir, pour les cantiques et la musique religieuse. On pousse aux cantiques de Saint-Jean et le supérieur men a commandé déjà deux douzaines. Très fatigante, mais très agréable et fructueuse semaine. Plus de fruits prochains quà Verrières. Et maintenant, il faut partir, et quitter ces messieurs qui se sont, je crois, bien attachés à moi, et cest réciproque. Hier, à souper, jai remercié les élèves, leur ai donné et mes avis et une promenade. Bon supérieur, peu entrain, scrupuleux, mais qui fait tout ce quil peut et veut vraiment le bien, homme humble et charitable, très pieux directeur, de grands talents, vrai saint.

1875

17 janvier [1875, dimanche]

Arrivé à Saint-Godard : bien reçu, un peu officiellement. Abbé Prost, Noyaux, etc. : ces messieurs venus chez le supérieur un peu officiellement aussi.

Que de choses ces temps-ci ! Lorgue fini. Convocation du chapitre : M. de Serres seul et quelques chapelains. Fort bonne impression. Froissements du père T[rilla]t. Quel dommage quil nait pas plus de désintéressement et quil ait la forme je pense que le fond ne lest pas si prétentieuse ! Jen ai bien souffert, et ils ne sen doutent guère. Heureusement, M. M[erley] a été assez en dehors.

Je suis membre du conseil du Club alpin. Je nai pu léviter. Quelques personnes bonnes à y connaître.

Courage pour commencer ici !

20 janvier [1875, mercredi]

Assez bon commencement. MM. Chatelet, Prost et dautres aussi viennent en classe de musique. Résultats lents, mais bons pas plus lents quailleurs. Ténors trop forts et un peu sauvages, bons altos, basses et sopranos un peu faibles. Bonne volonté de la part de tous. Bonne séance pour tous à léglise aujourdhui ; les voix denfants sont bonnes. Je souhaite bien que le travail fait ainsi dans les séminaires soit durable et vraiment utile pour la gloire de Dieu.

Le soir, on se réunit chez M. le Supérieur quelques-uns au moins. Toujours un peu de particularisme. M. le Supérieur aime mieux les choses réglées avec lui et pas en commun. (Le vin vieux servi à dîner, pas pour tous.) Petits, très petits détails.

Hier, belle course au lieu appelé Le Désert ; très belle vue, fort étendue. Il faisait si beau ! Excellent caractère de M. Prost.

Je noublie pas Verrières.

22 janvier [1875], vendredi

Bien travaillé ces jours-ci. Résultats vraiment bons. On sest mis à chanter comme il faut les cantiques à deux churs, ainsi que le plain-chant. Classe de musique bonne aussi. Altos bons, ténors ont beaucoup progressé. Les grands pas trop puissants, mais bon timbre. Appris Adorate, Inviolata, psaumes, Tantum, O salutaris, et trois cantiques.

Un grand nombre de ces messieurs suivent les classes. M. le Supérieur meilleur à connaître : la forme moins agréable, mais bon et aimant à faire plaisir. Demain, samedi, on donne la promenade.

Corrigé aujourdhui des épreuves pendant près de cinq heures. Aussi, assez de fatigue.

24 janvier [1875], dimanche

Très bonnes exécutions toute la journée : musique et plain-chant à deux churs. Tout le monde enchanté, enthousiasmé. Je suis très fatigué, sans compter le mal de dents, mais heureux de cette besogne ; puisse-t-elle porter des fruits ! M. le Supérieur très attentif, quoique toujours un peu froidement. Ces messieurs très bien : MM. Jourlin, Berard, Cherbut, Deschavanne, etc. Labbé Prost très bon et bien artiste ; joue bien du violon ; il a de létoffe. Charmant directeur, dune candeur admirable. Causé deux fois avec les élèves de voyage. Mes recommandations aux élèves à souper, très applaudies (un cuir qui a disparu). Tout le monde rempli de très bonne volonté. On compte sur mon retour.

Je pars demain matin.

4 mars [1875, jeudi]

LArgentière. Arrivé ici dimanche soir, 28 février. Mis de suite à luvre le lendemain. Très bien pour M. le Supérieur et pour tous. Supérieur vraiment charmant pour moi ; aux petits soins. Vieil ami Pincasson, bon et en train ; nature très dévouée à ceux quil aime. Venu aussi labbé Chifflet, qui a passé ici trois jours. Enfants durs à amener, mais enfin nous y sommes.

7 mars [1875], dimanche

Très bonne fin de semaine. Nous sommes arrivés de loin. Chur de 90 musiciens. Nuances, justesse. Tout le monde très bon pour moi. Enfants tous enthousiasmés et remplis de bonne volonté. Supérieur avec beaucoup dabandon, va au-devant des réformes. M. E*** F*** peu courageux. Supérieur propose deux ou trois classes, plain-chant et solfège dans chacune des classes ; plans dune répétition. Lharmonium sera descendu en bas, un autre acheté pour les classes. Bientôt, jespère, les cantiques. Tous nos musiciens conservés.

Chaque soir, réunion chez moi ; examens ce soir chez moi par la chapelle. Émotion en quittant cette maison et en faisant mes recommandations aux élèves. Jai été vraiment traité en ami.

Course jolie jeudi à Saint-Symphorien. Et notre concert à Saint-Jean ? Article de la semaine : critiques de M. Réry.

Je pars demain pour Saint-Godard.

14 avril [1875, mercredi]

Aujourdhui, réception de lorgue de Saint-Jean. Demain, inauguration. Tout le monde paraît enchanté. M. Chapot ma fait hier les plus grands éloges de lorgue de M. Merklin, de tout. Ainsi va le monde. Linauguration de demain sannonce belle. Je naurais jamais cru que lon voulût tout cela dans cette archigrave cathédrale. Dieu soit remercié de tout ! Mais Vervoitte nest pas encore venu, ayant voulu aller à Moulins, après avoir cependant librement accepté le jour. Ny aura-t-il pas là une petite difficulté ? Supplément à obtenir maintenant, mais ce ne sera pas de si grandes tribulations.

M. Bélédier non invité aujourdhui ! Ainsi va le monde. Et quon est vite laissé ! Ce sera pire pour moi.

Voilà une grosse épine tirée et une passe bien mauvaise traversée. Quelle peine le bon Dieu menverra-t-il maintenant ? Quil veuille me donner la force en même temps !

16 avril [1875, vendredi]

Hier, splendide inauguration. Énorme affluence, comme jamais : tout garni, nefs, chur, tribunes ; mauvaise organisation des cartes et placement. Assemblée respectueuse et tranquille. Batiste [rayé : « assez ». NDLR.] bien, un peu long et pas assez de sérieux ; Penaud très honnêtement et correctement ; Paul a bien réussi surtout la fugue de Bach, qui a été très appréciée des connaisseurs. Batiste a bien fait ressortir lorgue. Malheureusement, le tremblant sest dérangé par la faute de Paul, qui la laissé pendant un grand chur. Nos enfants ont bien chanté, surtout lO salutaris de Mozart. Tout le monde content. Nouveaux compliments de M. Chapot. Mais avant-hier, javais reçu de la mauvaise humeur de M. Drevet de ce que M. Bélédier navait pas été invité pour lexpertise, et sur mon observation que cétait au chapitre à le nommer, il ma dit très aigrement quil navait été consulté en rien, quon avait tout emporté de haute main, etc. Il est, de fait, très regrettable que M. Bélédier ait été laissé de côté ; il doit en souffrir, et à sa place, jen souffrirais beaucoup.

Vervoitte est homme desprit et de bon esprit. Il a bien pris laigre dépêche de M. M*** et est vraiment porté de bonne volonté dêtre utile.

Et maintenant, gare aux tuiles ! Quelle est celle qui va me tomber sur la tête ?! Que la volonté de Dieu se fasse en moi pleine et entière !

12 mai [1875, mercredi]

Dimanche dernier, sacre de Mgr Thibaudier. Belle cérémonie, attristée par létat morbide de notre archevêque. La veille, on a contremandé la grand-messe ; aussi, grand émoi, mécontentement général ; on disait que cétait un sacre de troisième classe. Cependant, la cérémonie a été très belle. Nous avons chanté trois morceaux. Mgr Thibaudier a très bon air sous la mitre. Grande modestie et édification. Il est estimé de tous.

On ne soccupe guère plus de lorgue, sauf quelques rares exceptions, M. G***t entre autres. Généralement, on est très content. Enfin, je dois bien remercier le bon Dieu.

Jachève ces jours-ci mon discours dacadémie. Le commencement surtout maura donné assez de peine.

Retour de maux destomac. Je me croyais guéri. Et les reins souffrants aussi. Que la volonté de Dieu se fasse toute pleine !

7 octobre [1875, jeudi]

Beau, très beau voyage en Italie, avec J*** et labbé P***. Intérêt constant ; je naurais pas cru si bien. Bonheur de nos audiences du Saint-Père. Mais nen parlons plus.

Lu la Vie de Savonarole par Perrens. Étonnante figure. Il le traite dabusé, halluciné, grâce à la tendance de lépoque, mais de bonne foi. Je voudrais en lire une satire.

Négociation difficile pour que des séminaristes puissent venir remplacer à Saint-Jean les chapelains devenus nuls ou partis. Cest lavis entier de Mgr Thibaudier. Mais réussirai-je ? Et sinon, que deviendra la maîtrise aux abois ?

23 octobre [1875, samedi]

Je nai pas réussi. Repoussé avec pertes. Pourtant, M. de Serres mavait appuyé. Que faire ? Je fais une lettre au doyen pour dire que je ne puis faire chanter. Mais quest-ce que cela fera ? Cela ne retournera-t-il pas contre moi ? Que le bon Dieu me vienne en aide !

Mariage heureux de Pierre, sans inquiétude, sans nuages. Il le mérite, et cela montre la Providence qui prend soin des siens. Les parents aussi le méritent. Excellente famille que la famille Perret, large et simple. Pierre et Marie sont partis pour Florence et Rome, sur mes plan et conseil.

Essai de réorganisation de la Sainte-Cécile. On se montre vraiment bien déférent pour moi, au sujet du Stabat de Rossini, etc.

4 novembre [1875, jeudi]

Quelles vilaines journées ! Pas fait chanter le jour de Toussaint. Désapprouvé par presque tous tous me faisant la grimace , finissant par me demander si je faisais bien, obligé de descendre au fin fond de ma conscience, à mon obéissance à Mgr Thi[baudier], à ma soumission à Dieu pour me calmer, jai vraiment beaucoup souffert ; le cur me fait physiquement mal, les forces ont faibli. Dieu soit toujours béni !

Obtenu labbé Montmartin, diacre des Minimes, pour nos offices. Mais non sans difficultés et oppositions venues après coup. Cela durera-t-il ? On veut aussi faire venir M. Dumas, professeur chez M. de Courtivron, mais voudra-t-il ? La position est si petite !

Que la vie est donc difficile, compliquée, dure ! Et on sy attache pourtant ! Est-ce la peine ?

Chanté cependant, et bien, pour la rentrée des tribunaux.

Mgr Callot est mort ; je le regrette et me souviens bien de son accueil dOran.

30 novembre [1875, mardi]

Lu Cent Jours en Orient, de M. de Romain, Suisse ami de Thiers, peu convaincu en religion, léger, peu écrivain, peu savant : ouvrage inutile. Jy ai pourtant appris un peu un peu sur la Haute-Égypte.

Belle pensée de la mère de Lamartine : « Jai assisté à une prise dhabit Jai réfléchi que létat dune mère de famille, si elle remplit ses devoirs, peut approcher de la perfection de celui-là. On ne pense pas assez, quand on se marie, quon fait aussi vu de pauvreté, puisquon remet sa fortune à son mari, et que lon ne peut disposer que [de] ce quil nous permet, on fait vu dobéissance à son mari, et vu de chasteté, en ce quil nest pas permis de chercher à plaire à aucun autre homme. Lon se voue aussi à lexercice de la charité, vis-à-vis de son mari, de ses enfants et de ses domestiques ; je nai donc rien à envier aux hospitalières »

Qui allons-nous avoir comme archevêque ? Mgr Perrand, dit-on, reprend les plus grandes chances. Tant mieux. Mgr de La Tour dAuvergne eût été aussi très bien accepté.

On dit aussi que la division du diocèse pourra être renvoyée à plus tard. Tant mieux aussi. Ceût été un grand malheur.

Ma santé redevient mauvaise et lestomac est retombé. Mélancolie et découragement !

23 janvier [1876, dimanche]

Je me propose de noter presque chaque jour une pensée et un peu lemploi de ma journée. Jai même acheté un agenda pour cela, afin de my forcer. Le tiendrai-je ?

Lu Le Chemin des écoliers de Saintine. Très joli livre, admirable de simplicité et de fine naïveté apparente. Lu aussi Pieriola, un peu gâté, à mon humble avis, par un ton par trop emphatique ; pourtant, 45e édition. Lu aussi les Notes de musique de Reyer : faible ; jai peu appris.

Lu la vie de Marie-Marguerite Alacoque : vraie éloquence, quoiquun peu délayée. Je nai pas été assez dévot au Sacré Cur.

[Mgr Stanislas Neyrat.]

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 in La gazette de l'île Barbe n° 69, t 2007

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