La frontière du bien et du mal
nous traverse tous ; chacun, nous portons en nous le meilleur et le
pire. Nous sommes tous blanc et noir. Les mouvements humains sont
logés à la même enseigne ; la Révolution
française en est un exemple typique : elle est née dans
une société bloquée qui aspirait à plus
de justice et plus de liberté, elle a été
servie, aussi, par des hommes réellement au service du bien
commun, elle a mis en exergue des valeurs humaines
indéniables, même si ce n'est pas elle qui les a
inventées, comme les droits de l'homme... et elle a connu des
bavures dramatiques, dont certains de nos ancêtres ont
été les victimes. Aujourd'hui, on peut aimer la
Révolution à cause des valeurs humaines qu'elle a fait
triompher et dont nous sommes les héritiers, sans renier notre
solidarité avec les victimes. Saluons la dévotion filiale de
« Lyon 93 » . . . mais nous avons aussi d'autres
solidarités, même si nous n'avons pas d'ancêtre
parmi les révolutionnaires ou parmi les martyrs de la
répression contre la Commune. Serait-il beaucoup demander à
la Gazette de l'île Barbe
de chercher si par hasard nous
avions des ancêtres parmi les révolutionnaires ou parmi
les victimes de la contrerévolution ? Jacques
LEPERCQ. Un livre à lire : Ce livre couvre cent ans d'histoire.
Cent ans au cours desquels l'Eglise, après avoir subi - et
parfois promu -le choc de la Révolution, a dû
continuellement se situer par rapport à elle : de l'Eglise
constitutionnelle à la "contre-révolution
irréconciliable", de l'Eglise des
évêques-réunis au concordat, autant d'attitudes
dont nous sommes pour une part les héritiers. 1789, 1830,
1848, 1870, Pierre Pierrard suit pas à pas, sans
polémique, cette histoire où la passion et les
préjugés ont servi trop souvent d'arguments. Cet
ouvrage extrêmement documenté, qui se lit au fil de
l'événement, ouvre au lecteur des perspectives
inattendues. Le mercredi 13 juin 1789, à
Versailles, trois curés de France, élus aux Etats
généraux par le clergé de la
sénéchaussée du Poitou : Lecesve, curé de
Sainte-Triaize de Poitiers, Ballard, curé du Poiré,
Jallet, curé de Chérigné, quittent la salle
où se tiennent les députés du clergé pour
se présenter à l'entrée de la salle des Menus
Plaisirs, où siègent les membres du tiers état :
ils annoncent qu'ils viennent, "conduits par l'amour du bien public",
se placer aux côtés de leurs "frères" non
privilégiés. L'accueil est enthousiaste,
délirant même : "chacun se presse autour des
curés ; on les embrasse ; chacun s'intéresse à
leur sort..." C'est que cette démarche amorce
un processus qui s'avèrera irréversible et qui
revêt une importance capitale : la transformation, qui sera
effective le 27 juin, des Etats généraux en
Assemblée nationale. Cette transformation constitue
véritablement la Révolution, le passage décisif
d'un régime soumis à la souveraineté absolue du
roi au régime constitutionnel qui sera mis en place parles
représentants de la Nation, désormais souveraine. Cet
événement majeur justifie la boutade
célèbre : "Ce sont ces f*** curés qui ont fait
la Révolution." Cent ans plus tard, presque jour pour
jour, les 24, 25 et 26 juin 1889, dans la salle de la
Société d'agriculture, 84, rue de Grenelle, des
centaines de catholiques notables, délégués des
dixhuit assemblées provinciales organisées par
"l'Association catholique", sont réunis pour dresser le bilan
- totalement négatif à leurs yeux - du
sièclé écoulé, fils de la
Révolution française. I1s viennent acclamer le comte
Albert de Mun, leader du catholicisme le plus engagé, le plus
"social", qui clame : "Nous sommes la Contre-Révolution", et
qui stigmatise, en termes éloquents et définitifs, la
"doctrine révolutionnaire (...), une doctrine nouvelle,
préparée dans les esprits par un long travail accompli
depuis la Réforme, mais proclamée pour la
première fois comme base de la constitution sociale : la
séparation absolue entre la loi divine et la loi humaine,
celle-ci affranchie de tout lien avec l'autre et fondée sur
l'indépendance absolue de l'homme vis-à-vis du
Créateur..." Que s'est-il donc passé, au
cours de ce siècle, pour qu'un tel retournement ait pu se
produire, pour que l'Eglise de France, partie prenante dans la
Révolution de 1789, soit devenue, en 1889, résolument
contre-révolutionnaire ? Des éléments de
réponse sont fournis par le présent ouvrage, qui ne
prétend pas renouveler l'histoire religieuse de la
Révolution française [Ce renouvellement, de nos jours, est
essentiellement l'oeuvre de Bernard Plongeron et de son école.
- NDLA] ,
mais croit pouvoir éclairer des comportements qui ne sont pas
étrangers aux nôtres. A la veille de la
célébration du deuxième centenaire de la
Révolution française - une célébration
qui est révélatrice de passions antagonistes anciennes
-, il m'a semblé utile de retracer les itinéraires qui
ont abouti, en 1889, à la célébration, par les
catholiques de France, du premier centenaire, dans un esprit qui fut
comme le négatif de l'enthousiasme de la jeune
République laïque exaltant la Grande Révolution,
sa mère centenaire mais toujours jeune. Pierre
PIERRARD. In La gazette de l'île Barbe n° 7 Hiver
1991