N'ayant plus aucune mémoire et étant trop
ordonné, je ne retrouve pas les notes prises au cours de mon
passage à Ancy-le-Franc. Si j'avais moins d'ordre, je
chercherais directement dans les papiers non rangés, mais
voilà… Mon problème est de vous présenter, malgré
cela, deux de nos ancêtres parmi les moins bien connus de nous,
Nicolas Binot et Auguste Binot. Tout d'abord un rappel : Nicolas
genuit Auguste, Auguste genuit Maurice, Maurice
genuit Édouard, de qua natus sunt
Françoise, Janine, Jean-Joël, Nicole, Fabienne, Annick
Marie-Pierre, Patrick et la petite Claudine, etc., etc., etc. ; au
total, pas loin de cent cinquante personnes. De Nicolas, nous ne savons encore presque rien… pour
l'instant. Il est né le *** à Ancy-le-Libre près
de Tonnerre (Yonne). Il vécut à Ancy-le-Franc, à
quelques kilomètres de là, en tant que manœuvrier. Sa
femme, Reine Croizet, était journalière. Ils eurent
trois enfants, dont deux moururent à quelques jours ou mois.
Nicolas mourut lorsque son fils Auguste atteignit 12 ans, soit en
1851. Auguste, grand-père d'Édouard, naquit le 31
juillet 1839 à Ancy-le-Franc. Nous savons, par le sermon du
célébrant de son mariage qu'il quitta Ancy-le-Franc : "
à 14 ans, vous quittiez vous-même votre pays,
rêvant un avenir que votre âme énergique et
laborieuse vous faisait entrevoir, vous vous présentiez dans
la famille de votre oncle sans autre préambule que votre
volonté de faire quelque chose " et " vous acquîtes
bientôt le rang, non plus d'un parent, mais d'un fils bien
aimé. " Quoi qu'il en soit, Auguste devint en 1872 directeur d'un
service au ministère des Finances et, par la suite,
la mère de son beau-frère lui demanda de
prendre la direction de la société familiale,
la société Vaugeois, qui devint par la suite
Vaugeois et Binot, puis Vaugeois, Binot & Corpet
(V.B.C., passementerie, broderie et tissage). Cette
direction revint ensuite à Maurice, puis à
Édouard, et V.B.C. disparut en 1948 des
conséquences de la guerre et des imprudences d'une
banque.
Je pense très sincèrement vous mettre bientôt
dans le cas de lire cette correspondance intéressante tant sur
le plan historique (vie à Paris pendant le siège) que
sur le plan sentimental, tellement il aimait sa femme et son
bébé Maurice, père d'Édouard,
âgé d'un mois au début du siège. Fasse le Ciel que nos enfants à la sixième
génération puissent nous remercier comme nous avons ou
aurons l'occasion de remercier Auguste de ce qu'il s'est fait et de
ceux qu'il nous a donnés ! Jean-Joël BINOT. Lundi 1er mai 2000. En l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, 27
octobre 1868. Mon cher Ami, Mademoiselle, Il y a huit ans, jour pour jour, l'une de vos deux familles
accompagnait aussi de ses vœux à l'autel deux jeunes cœurs qui
se donnaient l'un à l'autre. Cette famille, c'était la
vôtre, Mademoiselle : un frère bien aimé recevait
des mains de la religion la femme que le Seigneur lui avait choisie
dans ses infinies miséricordes, et si les jours se sont
écoulés nombreux depuis cette époque, le
souvenir du bienfait entretenu par les vertus et l'affection de la
jeune épouse s'est fortifié dans le cœur de votre
père, et il a voulu que ce jour qui a fait entrer un nouveau
bonheur dans sa maison eût son aimable anniversaire dans
l'union que sa bienveillance m'a appelé moi-même
à bénir. C'est que le mariage dans une famille chrétienne, jeunes
époux, n'est pas seulement un contrat purement naturel, un
coup de dé ou du hasard, c'est une alliance sacrée que
Dieu a marquée d'un sceau divin. Écoutez la belle
comparaison que saint Paul a consignée dans ses
épîtres. Rien sans doute de plus auguste dans la
religion que l'alliance de Jésus-Christ avec son Église
; or, tel est, selon cet apôtre, le type glorieux du mariage
chrétien. Quelle dignité ! Représenter comme
époux le fils de Dieu fait chair ! En qualité
d'épouse, devenir l'image de l'Église chrétienne
! L'esprit à cette idée s'élève et
s'agrandit ; le cœur se dilate se pénètre des plus
nobles sentiments. Mais aussi, quelle conséquence faut-il en tirer ? C'est que
l'époux doit être à son épouse et
l'épouse à l'époux ce que Jésus-Christ
est à son Église et l'Église à
Jésus-Christ. Or, Jésus-Christ a donné à
l'Église son cœur en l'aimant jusqu'à mourir pour elle,
il lui a communiqué son esprit par la participation de ses
secrets et la révélation de ses mystères ; il
lui a laissé son corps dans l'Eucharistie jusqu'à la
consommation des siècles. L'Église
réciproquement lui a donné son cœur par un amour plein
de respect et de confiance, son esprit par une soumission
entière, et enfin, par une inviolable fidélité,
elle ne fait qu'un corps mystique avec lui. Le premier devoir, c'est donc l'amour, tendre union des cœurs qui
des deux n'en fait qu'un et les dispose à partager ensemble et
les biens et les maux, et les joies et les peines, et la bonne et la
mauvaise fortune. - Voulez-vous, mes chers Amis, conserver,
entretenir, augmenter cet amour, soyez doux et complaisants l'un
à l'autre, allez au-devant de vos désirs
réciproques ; que l'un renonce à tout ce qu'il saurait
être onéreux et pénible pour l'autre ; excusez
mutuellement vos torts, les couvrant du manteau d'une douce
charité ; que le respect de vous-même protège
votre affection. Il est impossible que la différence des
caractères, la vie commune ou toute autre raison
imprévue n'occasionne pas parfois quelques petits nuages dans
la famille, mais alors vous vous rappellerez que la charité
est douce et patiente et qu'elle nous dit de porter les fardeaux les
uns des autres - une parole affectueuse, un procédé
délicat dissiperont bientôt le nuage et
ramèneront le soleil. Le fils de Dieu communique à son Église son esprit,
et c'est par cet esprit qu'il la gouverne et qu'il lui
révèle ses secrets et ses mystères ; et
l'Église réciproquement sacrifie à
Jésus-Christ son esprit par une soumission parfaite à
ses ordres. Ainsi dans le mariage, jeunes époux, le mari,
étant le chef, est aussi comme l'âme et l'esprit qui
doit gouverner la famille, mais il faut qu'il communique cet esprit
à la femme qui lui est unie par une parfaite confiance. C'est
sur elle qu'il doit se reposer d'une partie de ses affaires, c'est
à sa conduite qu'il doit laisser mille choses qui regardent
l'intérieur. Il doit lui faire part de ses craintes et de ses
espérances ; en un mot, la femme est l'aide et le secours de
son époux pour porter avec lui la charge de la famille. Jésus-Christ a donné à l'Église son
corps dans l'Eucharistie, et l'Église, par sa soumission, ne
fait qu'un corps mystique avec lui. Ainsi, les deux époux
s'appartiennent mutuellement et ils doivent mettre leur honneur et
leur gloire à fuir tout ce qui pourrait porter atteinte
à cette inviolable fidélité. Telles sont, jeunes époux, les grandes leçons que
vous donne la foi. Combien, fortifiés surtout par la
grâce du sacrement, ne vous seront-elles pas douces à
pratiquer ? Vous, mon cher Ami, comment n'aimeriez-vous pas votre
jeune épouse? Pour parler avec le serviteur d'Abraham, c'est
la femme que le Seigneur vous a préparée. Dites-moi, Dieu n'a-t-il pas tout fait ? Isaac ne pensait pas
à Rébecca quand Dieu conduisit à Eliézer
la fille de Betouël [Genèse, XXIV. - NDLR.]. Mais
Isaac, élevé par le saint patriarche Abraham, marchait
dans les voies du Seigneur, et c'est bien Dieu qui donne les
épouses à ceux qui le craignent. Votre premier âge passé sous les yeux d'une
mère chrétienne dont vous faites maintenant la joie et
qui vous accompagne de loin de ses vœux les plus tendres,
dirigé par les soins vigilants d'un instituteur
chrétien dont le souvenir doit être rappelé ici
parce qu'après avoir été votre maître il
est devenu votre ami et que ses conseils, vous aimez encore à
les entendre et à les suivre ; votre premier âge,
dis-je, a été celui d'un enfant pieux. À 14 ans,
vous quittiez de vous-même votre pays, rêvant un avenir
que votre âme énergique et laborieuse vous faisait
entrevoir. Vous vous présentiez dans la famille de votre oncle sans
autre préambule que votre volonté de faire quelque
chose, et dans cette famille patriarcale où vous
n'étiez entré pour ainsi dire que par votre
volonté énergique, vous acquîtes bientôt le
rang, non plus d'un parent, mais d'un fils bien aimé. À
l'appui le plus dévoué se joignirent les conseils les
plus judicieux, et les soins les plus maternels. Dans cet aimable sanctuaire de piété et de vertu,
puis ensuite dans une autre famille bénie aussi de Dieu,
où les vertus de la femme forte qui la dirige vous ont fait
pressentir ce que serait la vôtre, livré à votre
goût pour l'étude, poursuivant en même temps une
carrière honorable que vous vous étiez
créée vous-même, mais surtout resté
fidèle à la piété du premier âge,
votre jeunesse fut embellie et soutenue par l'estime et l'affection
de tous. - Dussé-je blesser votre modestie, je vous dirai ce
que l'évangéliste disait d'un jeune homme : Jesus
autem intuitus eum, dilexit eum, " Jésus, l'ayant
regardé, l'aima " [Marc, X, 20. - NDLR.]. Il a
regardé votre enfance et il a vu que vous répondiez
à son amour ; il a regardé votre adolescence et il a vu
que pour lui vous triomphiez de vous-même ; il a regardé
votre jeunesse et il a vu que vous demeuriez ferme dans la foi, et
alors il vous a aimé. Et comme son amour se traduit par des
actes, il a conduit vers vous la bonne épouse qui est la part,
la bonne part du jeune homme vertueux. Non seulement il vous l'a
choisie, mais il a pris soin de la préparer, d'orner son
âme, d'éclairer son esprit, de répandre et de
faire germer dans son cœur les semences les plus fécondes de
toutes les vertus chrétiennes. Dieu vous donne pour être votre couronne la femme de nos
saints livres : la femme active, mulier diligens, qui
répandra autour de vous le mouvement et la vie ; la femme
forte, mulier fortis : élevée dans des habitudes
simples et modestes, entourée d'exemples qu'elle puise au sein
même d'une famille nombreuse, elle sait qu'une vie
passée dans les vains amusements du siècle est indigne
d'une femme chrétienne. Il vous donne la femme sage et prudente, mulier sapiens,
qui bâtira votre maison au moyen du travail, de l'ordre, et
d'une industrieuse direction. Il vous donne la femme sensée, mulier sensata, qui
vous éclairera de ses conseils, et souvent peut-être,
nouvelle Abigaïl, par la délicatesse de ce tact qui
n'appartient qu'à la femme judicieuse et chrétienne,
préviendra ou réparera les dommages qu'une
volonté trop ardente et trop absolue aurait pu causer. Il vous donne la femme bonne, mulier bona ; oh ! la
bonté, quel trésor dans un intérieur ! La femme
bonne répand le bonheur autour d'elle ; aimée de tous,
même de ceux que son œil vigilant dirige, comment ne
serait-elle pas la joie de son époux ?! Aussi, dit
l'Esprit-Saint : " Heureux le mari d'une femme bonne ", mulieris
bonae beatus vir [Siracide, XXVI, 1. - NDLR.]. Il vous donne la femme innocente et modeste, mulier sancta et
pudorata. Permettez un souvenir, Mademoiselle ; il est triste,
sans doute, mais cependant il a bien son petit rayon de
lumière et même de douce joie qui doit planer sur la
fête de ce jour. - Remontez quelques années en
arrière ; vous étiez encore dans les jours de votre
enfance. Voyez-vous se placer devant vous, comme un symbole d'amour
et de bonheur, cette figure bien aimée dont le temps ne
saurait effacer le gracieux souvenir ? Années heureuses
où une mère vous entourait de sa pieuse et sainte
affection ! Années heureuses où, répondant
à sa tendresse maternelle par les plus généreux
élans de votre cœur d'enfant, vous grandissiez sous ses yeux,
formée par ses conseils et ses exemples à ces
premières vertus chrétiennes qui ont servi de base
à votre vie de jeune fille. Hélas ! elle n'avait pas
encore achevé sa tâche, et déjà la divine
Providence la frappait ; elle remontait au ciel, et vos affections
les plus simples étaient brisées. Oh ! si elle avait
vécu, comme vous l'auriez aimée à mesure qu'elle
vous aurait prodigué davantage les trésors de son cœur
maternel ! comme vous auriez avec délices
épanché dans son sein et vos peines et vos joies !
Précieux trésor qu'une mère, surtout pour la
jeune fille que mille dangers environnent sans même qu'elle en
ait la conscience ! Mais votre mère priait pour vous dans le
Ciel. Elle veillait sur son enfant bien aimée, et
confiée, par un père qui avait concentré en vous
toutes ses affections, à des mains habiles, vous avez grandi
à l'abri du danger sous l'égide de pieuses et
vénérables maîtresses. C'était la divine
Providence, mon cher Ami, qui préparait ainsi la femme de son
choix, et c'est elle qui vous la donne aujourd'hui pour être
votre honneur et votre gloire. Dieu vous donne la femme gracieuse, mulier graciosa,
c'est-à-dire la femme aimable, de cette amabilité
chrétienne qui vient de la paix de la conscience et du
sentiment du devoir accompli en même temps que du charme d'un
esprit solide et cultivé. Jeune fille, elle a fait la joie de la maison, elle a
été le rayon de soleil qui a illuminé le chemin
de la vie sous les pas de son respectable et bien aimé
père, et maintenant, elle sera le soleil qui répandra
la vie dans votre propre famille, la lampe toujours ardente qui
éclairera les cœurs, la colonne d'or qui soutiendra
l'édifice. Recevez donc votre épouse des mains de Dieu même ;
recevez-la des mains de son père. En vous la donnant, il vous
donne ce qu'il a de plus cher. Il vous confie son enfant, rendez-la
heureuse. Soyez vous-même pour lui un fils tendre et
reconnaissant. Qu'au lieu d'un cœur qui l'aime il en ait deux, afin
que sa bénédiction demeure sur vous tous les jours de
votre vie, et qu'elle attire celle de Dieu pour le temps et pour
l'éternité. Ainsi soit-il. In La gazette de l'île Barbe n° 70 Automne
2007
Auguste avait un caractère affirmé mais
extrêmement bon si l'on en juge par tout le courrier de
remerciements qu'il recevait de tous. Il adorait sa femme, comme le
montre le courrier qu'il lui écrivit pendant le siège
de Paris par les Allemands en 1870-1871. Celle-ci en effet avait
quitté Paris avec Maurice, âgé d'un mois, pour se
réfugier à Villers-sur-Mer, chez les Vaugeois, puis
à Tournai, en Belgique, ce qu'Auguste ignora presque
jusqu'à la fin du siège.