Le nouveau traité européen

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Le président Sarkozy a, dans ce domaine, tenu ses promesses : il a tout fait pour tenter de débloquer le fonctionnement institutionnel de l'Union européenne, après les " nons " de la France tout d'abord, puis des Pays-Bas ensuite, au référendum concernant le projet de " traité constitutionnel ". Deux " nons " fort différents dans leur structure autant que dans leurs motivations profondes, mais avec un point commun capital : ils émanaient de deux des pays fondateurs de l'Union européenne. Mais l'Union restait bloquée, car comment pouvait-on fonctionner à vingt-cinq avec des institutions prévues pour six, et qui ont sérieusement commencé à bloquer à quinze ?

Voilà donc ce nouveau projet de " traité constitutionnel " sur la table. Que faut-il en penser ? Comment et quand le ratifier ?

[Un bon traité]

Pour ce qui est du fonctionnement propre de l'Union, l'abandon du " droit de veto ", qui permettait à Malte ou au Luxembourg par exemple, par un vote négatif, de bloquer 400 millions d'Européens dans toutes les politiques menées par l'Union, est plutôt une bonne chose. Voilà donc un certain nombre de domaines où cette règle de l'unanimité tombe, au profit de la majorité qualifiée. Mais il semble que l'on aurait pu aller beaucoup plus loin en mettant en sourdine des intérêts nationaux égoïstes pour aller vers ce même abandon pour la politique étrangère, et pourquoi pas la politique de défense et de sécurité commune, quoique… la France et le Royaume-Uni auraient posé beaucoup de problèmes avec leur force de dissuasion nucléaire. Quant à la fiscalité, la normalisation européenne dans ce registre est encore du domaine du rêve…

C'est une très bonne chose que le nombre de commissaires soit réduit aux deux tiers du nombre des États membres. Et que le Parlement européen voie le nombre des députés définitivement limité. Car comment peut-on fonctionner avec des assemblées pléthoriques ? Chaque commissaire ne représentant plus son propre pays quand il accède à ce poste mais les intérêts de l'Union dans le domaine qui le concerne, il n'y a pas de problème majeur à ce que tous les pays ne soient pas représentés au sein de la Commission. D'autre part, un pays - quelle que soit son importance - a-t-il vraiment besoin de 99 ou de 78 députés ?

L'élection par ses pairs d'un Président de l'Union est également un énorme progrès. D'autant que son mandat sera de deux ans et demi, renouvelable une fois. De même que la nomination d'un Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité. En effet, pour la première fois, il n'y aura qu'une personne qui représentera l'Union européenne dans le monde, qu'une seule personne à qui nos partenaires ou autres pays plus éloignés de nous auront à s'adresser : le Président ou le Haut Représentant. Notre Union européenne aura acquis une beaucoup plus grande visibilité au niveau mondial, et vraisemblablement une plus grande crédibilité, car cela devrait éviter que chaque État membre ne parte en ordre dispersé en cas de crise, comme cela s'est vu pour l'Irak. L'Union arrivera-t-elle enfin à parler d'une seule et même voix par l'intermédiaire de ce Haut Représentant ? On peut l'espérer. Que le Haut Représentant soit également vice-président de la Commission européenne est également une excellente chose, dans la mesure où cela pourra mettre du " liant " entre les diverses institutions en cause : Parlement européen, Conseil européen, Conseil des ministres et Commission européenne. On peut, à partir de là, espérer que l'Union européenne acquerra un jour la personnalité juridique qui lui fait tant défaut… Elle pourra alors être représentée dans chaque institution internationale en tant que telle et prendre ainsi toute sa place.

Enfin apparaît une nouveauté : chaque parlement national devra être consulté avant l'adoption d'une nouvelle loi européenne : cela permettra aux citoyens de chaque pays de se sentir plus partie prenante, plus concerné par les décisions européennes, même si c'est par l'intermédiaire de leurs députés. Le fait que l'adoption d'une décision à la majorité qualifiée doive recueillir 55 % des pays représentant 65 % de la population est déjà, semble-t-il, une garantie en soi.

Bien entendu, il y a des pays exceptions : le Royaume-Uni, et, chose un peu nouvelle, la Pologne et l'Irlande. Mais il faudra de plus en plus s'habituer à ce genre de chose, car il devient inconcevable que l'opposition d'un ou deux pays empêche les autres ou un groupe d'autres d'aller de l'avant.

Enfin, la " charte des droits fondamentaux " : elle prend force de loi et devient contraignante - sauf… au Royaume-Uni et en Pologne… peu importe ! On attendait ce moment avec impatience depuis le sommet de Nice, au cours duquel cette charte avait été proclamée (et seulement proclamée !). Ces droits fondamentaux (de la charte), venant judicieusement compléter la déclaration des droits de l'homme, s'imposent enfin à environ 400 millions de citoyens, les mettant tous, en principe, à égalité de droits dans l'Union !… Historique !

[Une ratification parlementaire]

Notre président voudrait que la France soit le premier pays européen à ratifier ce nouveau traité, afin de laver " l'affront " du " non " d'il y a deux ans. Très bien… Mais comment le ratifier ? En France, la Constitution met deux voies de ratification à la disposition du président : le référendum ou la voie parlementaire, par l'intermédiaire du Congrès (l'Assemblée nationale et le Sénat ensemble) réuni à Versailles. Chacune de ces deux voies de ratification est aussi démocratique l'une que l'autre.

Nicolas Sarkozy a, semble-t-il, opté pour la voie parlementaire, et le passé lui donne vraisemblablement raison. Faut-il, en effet, s'embourber dans un nouveau débat stérile comme celui ayant présidé au référendum d'il y a deux ans, dans des disputes entre les citoyens sur le sens de certains mots, de certaines phrases, alors que juridiquement, ces mots et phrases n'ont qu'un seul sens ? Faut-il provoquer encore une fois la mauvaise foi des uns et des autres sur des interprétations faites en fonction d'intérêts partisans discutables de nos jours, et laisser se développer des rancœurs et des rancunes qui ne mènent à rien, sinon à des débats interminables qui laissent les citoyens de base sur leur faim, faute de formation et de volonté (possibilité ?) d'écoute du voisin ? J'ai personnellement animé environ soixante-dix débats de ce genre pendant la campagne du référendum ; je ne représentais ni le " oui " ni le " non " ; je présentais simplement le texte du traité, le plus objectivement possible. Mais combien de fois ai-je été injurié, calomnié, condamné d'avance, alors même que je n'étais pas encore entré dans la salle ?

Alors, non ! Si un nouveau débat " citoyen " de ce genre doit encore une fois apparaître lors d'une nouvelle campagne semblable à la première, alors mieux vaut renoncer tout de suite. Ce serait de la perte de temps et d'énergie. On a déjà eu ce débat. La seule chose qui change vraiment, c'est que la partie concernant ce qui reste des différents traités précédents depuis le début de la " Communauté ", c'est-à-dire depuis le traité de Paris, ne figure plus dans ce nouveau texte. Mais cela ne change rien, car tous ces textes sont encore en vigueur. Ils ne sont pas gravés dans le marbre - comme disaient certains -, mais on ne revient pas comme ça sur un traité signé… ce serait un parjure.

Alors, laissons nos parlementaires débattre ensemble, entre élus vraisemblablement mieux formés que nous à ces disciplines trop complexes pour le commun des mortels que sont le droit constitutionnel et de droit communautaire. Après tout, députés et sénateurs ne sont-ils pas nos représentants élus, directement ou indirectement ? Laissons-les faire ce pour quoi ils ont été élus. Et nous les jugerons en temps voulu, par notre bulletin de vote. La voie parlementaire, outre un nouveau risque politiquement inacceptable au niveau européen pour la France, nous évitera toute surprise.

Voilà ce que l'on peut dire de ce nouveau texte, qui a été adopté à l'unanimité des chefs d'États et de gouvernements. Faisons vite nos modifications constitutionnelles et ratifions-le vite, afin que l'on puisse enfin passer à des choses plus importantes et infiniment plus complexes et problématiques pour les citoyens européens que nous sommes.

Un haut responsable slovène - la Slovénie aura la présidence de l'Union à partir du 1er janvier 2008 - disait il y a peu : " Nous devons faire attention à ne pas remuer certaines questions importantes pour certains pays. " Gageons qu'il devait parler du budget européen (thème très populaire au Royaume-Uni) ou de la politique agricole commune (la PAC si chère aux Français dans tous les sens du terme…), et qu'ils ne donneront pas de grain à moudre aux " nonistes " potentiels.

" Avec une telle tactique, les risques sont limités " d'un rejet du nouveau texte, estime l'euro-député italien Monica Frassoni, vice-présidente des Verts au Parlement européen.

En attendant, il faudra bien vivre avec cette ratification du projet de " traité constitutionnel " sur la tête, tant qu'il ne sera pas ratifié par les vingt-sept pays à l'unanimité, quel que soit le mode de ratification choisi par les uns ou les autres.

Christian JAILLARD.

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Approuvé par les vingt-sept pays membres au sommet de Lisbonne (Portugal). Il doit être ratifié par les vingt-sept pays membres.

Conseil des chefs d'États et de gouvernements (Conseil européen) réorganisé

Un Président

Élu par les chefs d'États et de gouvernements. Mandat de deux ans et demi. Représente l'Union européenne sur la scène mondiale.

Un Haut Représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et la sécurité

Même mandat que le Président. Également vice-président de la Commission européenne. Coordonne l'action extérieure de l'Union européenne.

Commission européenne et parlements européen et nationaux

Commission européenne

Nombre de commissaires réduit aux deux tiers du nombre des pays membres à partir de 2014.

Parlements

Parlement européen. - Assemblée au nombre réduit. Plus de pouvoirs, notamment sur la justice, la sécurité et l'immigration légale.

Parlements nationaux. - Ils seront consultés avant chaque vote de loi européenne.

Prises de décisions plus faciles

Limitation du droit de véto. - La majorité qualifiée sera requise pour la coopération policière et judiciaire. L'unanimité sera requise pour la politique étrangère, la politique sociale et la fiscalité. Exceptions : Royaume-Uni et Irlande.

Vote. - Approbation des lois par au moins 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population.

Nouveaux droits, nouvelles politiques

Nouveaux droits. - La " Charte des droits fondamentaux ", adoptée au traité de Nice, devient contraignante. Exceptions : Pologne et Royaume-Uni.

Nouvelles politiques communes. - Elles concernent : l'énergie, le réchauffement climatique, la concurrence, l'aide aux pays européens touchés par le terrorisme ou les catastrophes naturelles.

Clause de sortie de l'Union européenne

Un pays membre aura dorénavant la possibilité de sortir de l'Union européenne, après négociation avec ses partenaires.

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In La gazette de l'île Barbe n° 71

Hiver 2007

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