Coïncidences

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[Étienne Courtois d’Arcollières à Pavie]

Il y a quelque temps de cela, Pierre Jaillard m’avait demandé d’écrire un article sur notre ancêtre, pour moi du côté maternel, branche Goybet : noble Étienne Courtois, seigneur d’Arcollières et Château-Rouge, qui par deux fois sauva, à la bataille de Pavie, en 1524, le roi François Ier. Ce fait d’armes fut connu par l’enquête que diligenta en 1597 un de ses neveux, Michel. Et voici ce que rapporte la chronique :

 

Étienne Courtois d’Arcollières, homme (…), se battait à Pavie avec une épée à deux mains, et releva par deux fois le roi François Ier, mis à bas de son cheval, cela au prix de multiples blessures ; (…) le roi prisonnier voulut connaître cet homme, sachant qu’il n’avait pas succombé à ses blessures, et se le fit amener sur une chaise à bras. Apprenant que son nom était Cortoys, lui avait dit le roi François qu’il l’était véritablement de nom et de « faict », puisqu’il l’avait vaillamment secondé. Ayant vu qu’il était gentilhomme et portait pour ses armoiries un griffon de gueules au champ d’or, il voulut qu’il changeât d’armes, et lui donna : (…) « deux fleurs de lys, qu’il avait relevées par deux fois, avec une espée d’argent entre deux, au champs de gueules, occasion de ses blessures et du sang qu’il avait répandu en ce faisant ».

 

 

L’orthographe originelle a été respectée, et ce texte nous indique qu’Étienne faisait également partie des prisonniers. Nous savons par ailleurs qu’il fut libéré et mourut en Savoie.

J’avoue que toute cette période était bien loin, et hors les faits, que la bataille de Pavie avait eu lieu neuf ans après Marignan, que cette défaite sonnait le glas des ambitions valoisiennes sur l’Italie, et que c’était la première bataille qui avait lieu après la signature du traité d’alliance entre la France et les cantons helvétiques de 1521 (coopération qui ne cessa qu’en 1792). Et c’est tout naturellement que la demande initiale tomba dans les oubliettes.

[Un ancêtre maternel prisonnier d’un ancêtre paternel]

Mais à quelque temps de là, alors que j’étudiais une branche franc-comtoise de mon ascendance paternelle, en la personne de Claude-Étiennette Gillebert de Thurey, je fis plusieurs découvertes amusantes et étranges.

En premier lieu, deux de mes arrière grands-parents paternels étaient cousins au douzième degré, ce que la mémoire familial avait occulté.

En deuxième lieu, sa mère, née Louise Margueritte de Crosey, avait obtenu une lettre royale de cachet et de détention à l’encontre de son mari, qui mourut en prison en 1784, et ce pour « dissipation et mauvaise administration de sa fortune », et bien qu’il lui ait fait dix-sept enfants.

En troisième lieu, un ascendant de Louise Margueritte, Jean de Montmartin, noble franc-comtois, était des trois gentilshommes de l’armée des Impériaux qui capturèrent le roi François Ier à la fameuse bataille de Pavie, et qui s’empressèrent de le vendre à l’empereur Charles Quint.

 Enfin, et non des plus étranges, une autre de ses aïeules, Margueritte de Charny, épouse d’Humbert de Villersexel, a fait transporter en 1452 à Chambéry la relique qui était à l’origine propriété de la famille champenoise de Charny et pour laquelle son père avait fait construire un chapitre à Lirey (Aube), relique qui fut confiée à Louise de Savoie et qui est plus connue en tant que « Saint Suaire de Turin ».

Les deux dernières découvertes me ramenaient donc vers la Savoie et aussi vers cet aïeul objet de la demande de Pierre. Ainsi, puis-je dire, commença le rapprochement entre les familles de Papa (René Moine) et de Maman (Maïta Burguburu), qui connut un ensemble de coïncidences qu’il convient de conter.

[Familles Moine et Burguburu]

Mes deux grand-mères sont nées le même jour de la même année, le 16 septembre 1903 — pour les descendants, ce fut très pratique ! —, mais certes en deux lieux différents : Caen, pour Madeleine Putz, et Vereux (Haute-Saône) pour la mère (née Geneviève Mariotte) de Papa. Encore mieux, elles fréquentèrent ensemble, mais une seule année, le « Sacré-Cœur de Kintzheim ». Quelques années passèrent, et un jour de 1938, Maman et la sœur de Papa se trouvèrent ensemble dans le bureau de la mère supérieure du Sacré-Cœur de la rue Boissac à Lyon pour annoncer chacune la naissance d’un frère — Jacques Burguburu et Yves Moine — né le même jour. Et c’est dans ce même bureau qu’elles apprirent que leurs mères se connaissaient depuis Kintzheim. Contacts furent donc pris et des rencontres entre les deux familles eurent lieu, mais la guerre qui survint les interrompit. Mais encore une fois, un pensionnat religieux, mais pour garçons, le collège des marianistes de Saint-Chamond, servit de lien, car durant deux années Papa eut comme condisciple… Pierre Burguburu (frère aîné de Maman).

Quelques courtes années plus tard, un mariage fut célébré entre Maïta et René. Cela fait plus de cinquante-cinq ans (le 19 septembre 2008) que cela dure et six enfants, plus leurs valeurs ajoutées, dix-sept petits-enfants (avec des jumeaux pour bientôt) et cinq arrière petits-enfants (et plus un à venir) sont venus combler ce couple.

 

Comme quoi, quand j’entends certains dire : « il leur faudrait une bonne guerre », je me dis en moi-même : « s’ils en savaient les conséquences familiales ! »

J’ai trouvé dans mon dictionnaire personnel une définition du mot coïncidence : « main et bénédiction de Dieu ».

Patrick Moine.

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In La gazette de l'île Barbe n° 75

Ete 2009

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