Visite de Turin
En août et septembre 1851, Mgr Stanislas Neyrat, un autre professeur des Minimes et deux élèves, *** Avril et J*** Henri, voyagèrent en Suisse, en Italie, en Autriche-Hongrie et en Allemagne. Refoulés à la frontière autrichienne faute de visa, ils durent chercher celui-ci à Turin, qu’ils visitèrent, et notamment la chapelle du Saint-Suaire, le 27 août.
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Nous voilà réellement à
Turin, que nous n’espérions certes pas visiter en quittant Lyon. Notre malheur
nous aura servi toutefois et lorsque nous aurons pris connaissance de l’antique
Colonia Julia, de la véritable Augusta Taurinorum ; de la cité
célèbre et tour à tour disputée par les Romains, les Goths, domptés par saint
Maxime, son évêque, par les Hérules, les Bourguignons, les Lombards ; de la
ville prise et occupée cinq fois par les Français ; de la ville illustrée par
les Victor-Amédée et tant d’illustres rejetons de la maison des Carignan, nous
serons en droit de dire : felix culpa !
Courons donc au bel hôtel de
l’Univers pour y procéder à une façon de toilette et y prendre un pied-à-terre
; puis hâtons-nous de déjeuner et de combler le trop grand vide de nos
estomacs.
[Visite rapide de Turin]
Turin, comme toute capitale digne
de son nom, offre beaucoup à voir, presque autant à admirer, et malgré cela,
lorsque sonneront 5 heures du soir, il faudra nous emballer dans le courrier de
Milan. Pressons-nous donc, et parmi les beautés de Turin, laissons, quoique à
regret, ses musées, ses galeries de tableaux, son jardin botanique de
Valentino, son insigne musée Égyptien, qui prime en ce genre ; voyons en
courant ses rues du Pô, de la Dora-Grossa et sa rue Neuve, et volons à sa
cathédrale admirer cette immense chapelle du Saint-Suaire qui fait suite à la
métropole et qui présente à nos regards, comme attristés d’un pareil luxe
funèbre, une immense rotonde toute revêtue de marbre noir dans son intérieur et
surmontée d’un dôme qui fait honneur à son architecte. C’est là qu’est déposée
la précieuse relique du Saint Suaire.
De la cathédrale, nous ne
faisons qu’un saut au palais royal de Charles-Emmanuel. Les demeures de nos
rois ne manquent pas trop d’une opulence digne de leur majesté ; inutile donc
d’en parler davantage ; mais ici, un fait appela notre attention. Le roi actuel
habite le second étage de son palais et laisse les appartements du premier à
l’infortunée reine mère. En bon fils, il y a fait disposer une chambre
particulière où la reine peut entrer avec ses dames de compagnie et se trouver
au jardin par le moyen d’un mécanisme qui descend et monte cette chambre à
volonté. Cette attention d’un roi pour les infirmités de sa mère décore fort
bien son palais ; ajoutons à cela une chambre qu’il a fait disposer et meubler
des mêmes meubles qui virent mourir le bon Charles-Albert, à Porto en Portugal.
Pour compléter ce précieux souvenir, on a déposé sur le lit de mort du monarque
un tableau représentant ses derniers moments. Le cœur aime à rencontrer de
pareils exemples ; on oublie vite bien des merveilles qu’on rencontre à chaque
pas dans ces opulentes demeures, mais l’impression du cœur reste. Heureux et
bénis soient les princes qui mettent en cela leurs nobles efforts !
Nous ne vîmes du roi actuel
que son magnifique portrait par Horace Vernet. Il accuse un physique robuste,
vigoureusement pris et d’une stature très avantageuse. Le palais Madame eut
ensuite notre visite ; son escalier et sa façade sont à noter pour leur
architecture. En courant au consulat autrichien, aux bureaux des passeports, à
notre consul français, nous vîmes le vieux palais de Carignan, des quartiers
parfaitement construits et régulièrement disposés.
[Départ pour Milan]
Malgré toute notre ardeur
pour bien des monuments qui attirent nos regards, nous remarquons toutefois des
deux nuits passées sans sommeil. Aussi, puisque nos formalités de passeports
sont remplies, malgré ce nom d’Avril qui a le malheur d’être aussi celui d’un
de nos cramoisis, d’après ce que me fait penser l’interrogation du commissaire,
allons essayer une heure de repos, tandis que près de notre hôtel passe en
volant une compagnie militaire dont la musique nous réjouit par ses harmonies
étrangères à notre oreille. Le sommeil fuit loin de nous ; essayons donc un
bain. Il n’est pas sans efficacité et nous gratifie d’un bel et bon appétit,
grâce auquel nous achevons un solide dîner, qui doit du reste nous conduire
jusqu’au déjeuner de Milan.
Adieu, bonne ville de Turin,
et vous, rives du Pô et de la Doire ; adieu, vallée charmante, et vous, riantes
habitations où l’art italien sous mille façons diverses sait employer ses
ressources pour dissimuler les briques rouges qui vous composent ! Une
Bonafous, emportée par quatre chevaux, nous ferme dans son intérieur et nous
promet un voyage des plus accélérés. Nous volons donc de capitale en capitale.
À Verceil, on nous accorde cinq minutes pour réparer nos oublis de cravate et
de gourde, mais il est minuit et à cette heure, tout le monde est couché et
dort profondément ; aussi dûmes-nous renouveler notre sacrifice et remonter en
voiture après avoir perdu tout espoir. Pour le coup, cette fois, nous dormons
tous.
Un ex-professeur de 9e, 5e et 6e.
Souvenirs de quarante-cinq jours en zigzag,
carnet de route partiel manuscrit conservé par Pierre Jaillard.
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In La gazette de l'île Barbe n° 77
Ete 2009
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